Le Schounptz par la compagnie Marius présenté à Aubagne à l’invitation du théâtre Comœdia
Pagnol à croquer
Avec Le Schounptz, les Belges de la compagnie Marius retrouvent avec joie le pays de Pagnol et réitèrent le succès remporté en juin par leur Figaro à Istres.
Invitée dans la ville de Pagnol par le Théâtre Comœdia et la municipalité, la compagnie Marius avait à cœur de participer aux célébrations des 120 ans de leur auteur fétiche. En lieu et place de la trilogie entière prévue initialement cet été dans la garrigue, seulement trois représentations du Schpountz furent retenues. Ce doux rêve finit sur une place fort bruyante, certes à deux pas du Petit Monde de Marcel Pagnol, mais loin du cadre bucolique qui sert d’ordinaire de décor aux pièces de la compagnie.
Malgré ces mauvaises conditions acoustiques et les allers et venues dans les gradins durant le spectacle, les cinq acteurs, tous excellents, se sont comme d’habitude emparés de la fragile magie du théâtre hors les murs pour offrir un spectacle enlevé, à mi-chemin entre la comédie douce-amère et la comédie humaine. L’occasion pour eux de quelques improvisations. En pleine scène dans la boutique de l’oncle du Schounptz, le fameux magasin de détails de proximité, on a ainsi pu voir Koen Van Impe lancer à deux spectateurs arrivant après plus d’une heure de spectacle « Désolé, le magasin est fermé », déclenchant l’hilarité du public.
Mais revenons au Schpountz. S’il s’agit au départ d’une pièce de théâtre, c’est l’adaptation cinématographique (1938) qui a permis au public de découvrir Irénée Fabre, sympathique mythomane magnifiquement interprété par Fernandel, qui a su donner une émotion rare à ce personnage de villageois provençal faisant carrière au cinéma. Ecrit peu après l’arrivée du cinéma parlant, Pagnol fait face à ses détracteurs qui voient mal un homme de théâtre s’immiscer et réussir avec succès dans le monde du 7e Art.
L’adaptation par la Comp.Marius de la farce de Pagnol renforce la dimension « étude de société » qui se cache derrière le divertissement. Le texte de Pagnol était déjà porté sur le double sens, tout autant parodie du milieu artistique que chronique sur les petites gens. Waas Gramser et Kris Van Trier, la direction à deux têtes de la Comp. Marius, ont pimenté le propos de quelques tirades ou clins d’œil, bien sentis en rapport avec l’air du temps, l’actualité et les conditions de la culture : « Il y a des crimes contre l’art qui relèvent du sacrilège. » ou encore « Si on veut que les gens méritent votre confiance, il faut leur donner la vôtre. »
Ils y ont ajouté, comme à leur habitude, leur humour de « joyeux drilles flamands pensants », de bouffons citoyens, d’interrogateurs d’histoire, d’adaptateurs de textes pérennisant l’œuvre tout en la rendant contemporaine. La scène de déclamation d’une phrase du code pénal par le Schounptz en guise d’essai rappellera à certains le ridicule de certains castings. Et le passage sur la pérennité du cinéma repose la question inéluctable de la différence entre théâtre et cinéma, ce dernier figeant les choses réussies ou ratées d’un artiste pour l’éternité. Tout comme il souligne sa portée nationale ou internationale immédiate. Le double tranchant de cet art.
Pagnol dénonçait aussi l’éphémère des carrières des vedettes, illustré par le personnage de Galubert, interprété par Koen Van Impe. Acteur à succès détrôné par la nouvelle coqueluche, Galubert, boudant la première du film, viendra finalement à la demande expresse du public s’assoir au milieu des gradins parmi les spectateurs. Il y lancera à la volée une liste d’acteurs connus, en guise d’illustration à son amour du cinéma français. Acteurs n’étant en fait que des comédiens belges ayant fait carrière en France : Poelvoorde, Damiens, Brel…
« Ah ! J’en ai trouvé un ! Depardieu ! »… « Ah, non ! Il est russe. » La compagnie (se) joue des conventions et des faits d’actualité pour le plus grand bonheur d’un public conquis dès les premières minutes.
Une phrase rappelle aussi la révolution qu’a constituée, à l’époque, l’arrivée du cinéma parlant : « Ma grande scène d’amour, mes émotions sont dans cette petite boîte. »
Dans Le Schounptz, nous retrouvons tous les ingrédients qui font le succès des spectacles de la comp.Marius : le théâtre de tréteaux en plein air ; le travail sur le texte ; la vivacité et la joie de vivre des dialogues ; le burlesque ; la polyvalence des rôles (ici, cinq acteurs jouent tous les rôles, de même que les femmes jouent des personnages d’hommes et vice-versa) ; l’humour sans complexe ainsi que le comique de détails et de répétitions ; le changement de décor à vue ; le choix méticuleux des accessoires et éléments du décor instrumentalisés comme effet comique dans le jeu des acteurs ; la reprise de chanson populaire avec le public (ici une chanson de Mariano et l’oublié Movie Star d’Harpo).
Sans oublier le moment convivial de partage avec le public avant et après le spectacle, un verre à la main et quelques sardines pour l’occasion.
Le succès de la compagnie Marius réside aussi dans l’interprétation de ses acteurs. Kris Van Trier, qui joue le Schounptz, a un physique beaucoup moins ingrat que celui de Fernandel, rendant son jeu encore plus subtil car moins dans l’exagération du défaut, et davantage attaché à la présence qu’à la mimique. Dans le rôle du producteur Mayerboom, l’éclatante Waas Gramser assure sur tous les fronts : « Il a une tête de fricadelle mais ça ne fait pas de lui un Fernandel. » Koen Van Impe passe quant à lui d’un registre à un autre avec la même aisance et espièglerie, tandis que Frank Dierens interprète avec brio le parfait nigaud ou l’amoureux transi. Enfin, la nouvelle venue Daphne Wellens donne toute sa fraicheur à l’héroïne Françoise, la monteuse.
Autant d’arguments qui font la réussite du spectacle, dont la morale s’affiche limpide : « Ne plus laisser la corbeille des croissants sous le robinet du bidon à pétrole. »
Marie Anezin
<em>Le Schounptz</em> par la compagnie Marius était présenté à Aubagne à l’invitation du théâtre Comœdia du 11 au 13 septembre 2015