La Cantatrice chauve présentée au Théâtre du Gymnase
Elle se coiffe toujours de la même façon
Servie par une mise en scène échevelée de Daniel Benoin, La Cantatrice chauve de Ionesco a réussi son pari au Gymnase. Un exercice qui s’annonçait périlleux, pour une pièce écrite en 1950 et montée régulièrement depuis.
Sacrée Cantatrice chauve ! Un sentier battu et re-battu régulièrement depuis un demi-siècle, ce n’est plus un sentier, c’est une autoroute. La pièce rejoint le panthéon littéraire dès sa sortie, où les critiques s’en emparent avec délice. Jouée et re-jouée, montée et démontée, à l’affiche du Théâtre de la Huchette à Paris depuis cinquante ans… l’exercice de la mise en scène relevait de la haute voltige. Daniel Benoin s’en tire magnifiquement : choisissant délibérément des codes contemporains identifiables par tous — écrans géants, musique au synthé, animateur télé —, il sert la langue ciselée de Ionesco. Six comédiens, figures grotesques au-dessus de costumes blancs, prisonniers d’une danse sociale, condamnés à se renvoyer le miroir de leur ennui. On a dit que c’était du théâtre de l’absurde, on a dit que c’était une anti-pièce, que c’était une critique de la petite bourgeoisie, on a tout dit, tout écrit, sur ce morceau de burlesque indigeste, grinçant jusqu’à la violence. Bavardage étourdissant, phrases vides articulées de plus en plus fort, parfois plus proches du vagissement désespéré que de la langue, esclavage moderne, enchaînement des individus à une condition dont ils ne peuvent s’échapper. Derrière le banal suinte la peur, le mensonge, le chaos. Tout s’emballe dans ce maelström moderne : on renifle de la cocaïne entre les seins d’une servante étendue à terre, on jette du champagne sur le sol, on parle parfois dans un micro. Benoin et ses comédiens mènent brillamment un mariage aventureux entre le texte et cette mise en scène débridée où le sens, le génie des mots rejaillissent et éclaboussent. A la question « Et la cantatrice chauve ? », un personnage répond : « Elle se coiffe toujours de la même façon. » On ne peut qu’opiner, ébloui. Oui, cette cantatrice-là, ici coiffée punk, contemporaine, est toujours aussi mordante, dérangeante, farouchement intemporelle. Une réussite.
Texte : Bénédicte Jouve
photo : Fraicher-Matthey
La Cantatrice chauve était présentée au Théâtre du Gymnase du 22 au 29/04.