Marge silencieuse

Performance énergique aux consignes ludiques, Dehors de la compagnie belge De Facto interroge notre relation à la misère et aux SDF dans une approche sincère et turbulente, brutale et engagée.

De Facto s’intéresse à la prise de conscience personnelle des individus et leur rapport à la société : « La lucidité et la quête d’une plus grande conscience de soi s’accompagne d’un pessimisme joyeux. Ni tristesse, ni chagrin, ni plainte, ni complaisance mais un témoignage mordant du besoin de partage et de la fureur de vivre de l’être humain. » La compagnie travaille son répertoire de façon à ce que chaque représentation soit un événement unique. Chacune des six pièces qui le composent s’amorce avec une chanson et comporte une part d’inconnue, qu’elle vienne d’un intervenant ou d’éléments de jeu variables.
Après une entrée immersive sur le plateau s’entonne le We Are Your Friends de Justice. Métaphore de l’impuissance de la société à régler le problème des SDF, Dehors met en scène notre malaise face à la misère en s’appuyant sur un dispositif chronométré qui dessine des espaces scéniques distincts obéissant à différents codes de jeu : scènes de fiction contextualisant les événements qui ont pu amener des personnes à se retrouver à la rue ; bataille pour le temps de parole (médiatique ?) entre une ministre, un journaliste, un travailleur social et un individu lambda ; questions tirées au sort (Imaginez-vous une société sans clochard ? Pourriez-vous tomber amoureux d’un(e) clochard(e) ? Peut-on traiter les clochards comme des gens normaux ?) et réponses improvisées des acteurs. Les ouvrages de l’anthropologue Patrick Declerck, spécialisé dans l’étude des sans-abri, ont largement nourri le metteur en scène Antoine Laubin et l’auteur Thomas Depryck pour la création du spectacle. Marginaux volontaires ou victimes sacrificielles, au fur et à mesure que les 5 000 secondes — compte à rebours fatidique renvoyant à l’impossibilité de traiter la question dans sa globalité — s’égrènent, l’atmosphère entre les comédiens sur le plateau dégénère, la légèreté bon enfant se fissure, la frustration et la colère éclatent.
La pièce étant en évolution constante et jamais la même, l’accueil du public s’avère lui aussi aléatoire. Ce soir là, le 13 novembre, la discussion qui suivit montra que beaucoup de spectateurs avaient été touchés par l’énergie déployée sur scène pour bousculer nos regards et sonder nos conceptions… On aurait pu rester longtemps dans la salle du Merlan à repenser le monde, avant que celui-ci ne nous rattrape dehors.

Barbara Chossis

Dehors de Thomas Depryck par la C^ie De Facto était présenté les 13 & 14/11 au Théâtre du Merlan.

Pour en (sa)voir plus : www.defacto-asbl.be