A l’abri de la forêt, un livre-film de Florence Lloret
Nature profonde
A l’abri de la forêt est un recueil singulier retraçant deux expériences de création menées auprès d’élèves au primaire et en collège, à Marseille. En associant le travail d’écriture de Patrick Laupin à celui du regard maîtrisé de la cinéaste Florence Lloret, ce livre-film délivre les témoignages sensibles d’un processus collectif de fabrication.
« La tragédie de la parole humaine est plus vaste que la manifestation de l’art et concerne tout le monde. » C’est en écoutant les mots de Patrick Laupin à la radio que Florence Lloret entrevoit un bouleversement en filigrane. Elle l’invite alors à prendre la parole au Théâtre de la Cité — lieu dédié aux écritures du réel, qu’elle dirige. Cette rencontre amorce une longue et riche collaboration artistique. Le poète cévenol, fort de ses années d’enseignement en tant qu’instituteur, a inventé pour les enfants une façon d’entrer dans « les écritures » ; partant du principe que « chacun a son écriture ». Il convie les participants, à l’aide d’expressions soigneusement choisies, à écrire « ce qui les traverse et les rend vivants ». L’écriture devient alors le chemin intérieur que chacun élabore pour revisiter sa propre vie. L’intensité qui se dégage des textes produits et l’engagement des enfants dans cet acte fondateur pousse Florence Lloret à filmer ces ateliers d’écriture afin de les mettre en partage. Elle propose à l’écrivain d’intervenir à l’Ecole primaire de la Major. Puis elle suivra seule, avec sa caméra, les élèves en voyage de classe dans les Cévennes, terres originelles de Patrick Laupin. Au Collège Henri Wallon, une autre aventure se dessine. Une classe de troisième part deux semaines dans le Vercors. Julie Villeneuve, auteure disciple de Patrick Laupin, Faycal Benzine, professeur d’histoire, et la cinéaste sont complices pour faire de ce voyage un espace-temps à part, où l’on peut se rencontrer autrement, loin des contraintes du quotidien. Naiel écrit : « Ma vie a un sens. Mon destin a un sens. Mon futur a un sens. Mais ces sens-là sont de travers. » Cette étape du projet sera l’objet d’un film sublime intitulé Vercors, où l’on sent les élèves vivre et écrire dans les montagnes avec une excitation et un appétit soufflants. Les images de ces deux voyages sont, à l’instar des relations en jeu, lumineuses et profondes. A L’abri de la forêt retrace tout cela : les récits d’expériences de la cinéaste, les paroles de Patrick Laupin, Julie Villeneuve et Fayçal Benzine qui racontent leur travail, ainsi que les textes troublants des enfants et adolescents. Une manière délicate d’inviter le lecteur-spectateur au cœur du mouvement de la création, là où chacun se saisit d’un fil et le tisse pour mieux faire tenir l’ensemble. Tout simplement, ça fait du bien par où ça passe. Comme une réconciliation avec notre humanité dénudée. N’en aurions-nous pas un peu besoin ?
Diane Calis
A l’abri de la forêt, un livre-film de Florence Lloret, n°6 de la collection Les Ecritures du réel du Théâtre de la Cité (54 rue Edmond Rostand, 6e) : disponible à l’Histoire de l’œil (25 rue Fontange, 6e), l’Odeur du Temps (35 rue Pavillon, 1er), Maupetit (142 La Canebière, 1er), à la Librairie de l’Arbre (38 rue des trois Mages, 6e), et en ligne sur www.theatrelacite.com