La Vie parisienne d’Offenbach à l’Opéra de Marseille
La belle Vie
En fin d’année, il est de coutume d’offrir à l’Opéra une musique pétillante et grivoise, de descendre du piédestal de la tragédie lyrique pour flirter avec l’opérette sur le trottoir, sans façon. Offenbach y éclairera quelques soirées du brillant flambeau de son opéra-bouffe La Vie Parisienne, créé en 1866 dans les dernières lueurs de la fête impériale.
Bon goût et divertissement se regardent généralement en chiens de faïence et ne s’épargnent pas les invectives : élitiste répond à démagogue, ennuyeux à vulgaire, subventionné à commercial… Ne pourrait-on trouver un terrain d’entente lorsque la légèreté est couronnée d’autant d’efficience et de brio que dans l’œuvre d’Offenbach ? Parce que sa musique s’articule à l’essentiel de cet art, la mélodie et le rythme de la danse, elle touche en nous ce qu’il y a d’heureux, cette vie allègre à laquelle nous aspirons.
Pourtant, à y regarder de plus près, le livret de Meilhac et Halévy, fins connaisseurs du nuancier moral, est constamment tendu par la satyre et l’ironie ; mais leurs flèches n’ont pas la férocité d’une caricature de Daumier. Elles s’émoussent d’un petit air narquois qui oscille entre pessimisme souriant et optimisme renseigné. La pantalonnade des valets singeant les maîtres au troisième acte illustre cette manière de sentir sans grandes espérances ni grands désespoirs. Dans cette farce, les femmes détiennent sinon le pouvoir du moins le vouloir et, si elles endossent les plumes de cocottes, au final, le costume de dindon habillera la plupart des messieurs.
Marie-Ange Todorovitch, la mezzo bien-aimée du public marseillais, puisera dans l’autorité naturelle de sa voix et son expérience de la scène les ressorts expressifs de son rôle de demi-mondaine, Metella, pivot du jeu de chaises musicales où amants, soupirants, intrigants, épouses et maris se succèdent dans un tourbillon dont elle garde subtilement le contrôle. Par la modernité de son tempérament, Metella préfigure la Carmen de Bizet que l’on doit au même couple de librettistes.
Un rôle très emblématique sera confié au baryton marseillais Bernard Imbert. Il incarnera ce syndrome extravagant du Brésilien où, sur la toile de fond d’un capitalisme gargantuesque (« s’en fourrer jusque-là »), se dessine en creux une grande santé impudique en quête de la seule chose que l’argent ne peut acheter… Il est donné à peu de créateurs d’isoler ainsi un type de travers et, par le châtiment du rire, d’en faire un caractère universel. A cet égard, le final de l’acte I, J’ai de l’or, par sa cadence syllabique lancée comme les pistons d’une machine à vapeur, constitue l’un des artifices les plus ingénieux de la palette stylistique du compositeur. Il condamne le chanteur au halètement, faute de respirations commodes, étouffé par la crue irrépressible de son désir : « Ve-nez man-ger l’ar-gent, mes pou-lettes, Puis a-près je fe-rai des dettes ».
Nadine Duffaut saura nous faire apprécier la résilience du thème. Elle en signe la mise en scène, fonction cardinale dans la réussite d’un tel ouvrage où les mouvements sont millimétrés par le métronome rigoureux d’Offenbach et, à Marseille, la baguette de Dominique Trottein. Julien Lestel y apportera l’élégance de ses chorégraphies. Entre valses tournoyantes et galops débridés, l’œuvre ménage également des moments de pure délectation : ingénus (« L’amour est une échelle immense »), insolents (« Il est content mon colonel ? ») ou adorablement kitsch (« Sa robe fait frou-frou »)…
Entre tension et élasticité, la musique d’Offenbach nous invite à célébrer la vie, sans illusions mais avec indulgence, pour ce qu’elle est : imparfaite mais irremplaçable.
Roland Yvanez
La Vie parisienne d’Offenbach : du 29/12 au 7/01/16 à l’Opéra de Marseille (2 rue Molière, 1er).
Rens. : 04 91 55 14 99 / opera.marseille.fr