Hot couture
Elle poursuit le travail entrepris il y a quatorze ans par Philippe Jazarin, l’emblématique fondateur de la Machine à Coudre. Pas facile d’interroger celle qui refuse doucement mais catégoriquement qu’on la voie en photo.
C’est une silhouette discrète et affairée qui est partout à la fois : derrière le comptoir, à la billetterie, à la porte d’entrée. Svelte, souvent vêtue de noir, profil bas, longs cheveux blonds et lisses : l’indispensable Claire. Ce soir-là, elle achève de dîner sur un coin de table, entre l’une des machines à coudre qui décorent le lieu et une bouteille de vin. Les ronflantes bobines se sont tues depuis longtemps et il est encore tôt, les décibels ne font pas encore vibrer les murs. Flanquée de Marcel, la mascotte qui trône en photo au-dessus du bar et qui offre le dîner, Claire retrace l’itinéraire qui l’a conduit aux manettes de la mythique salle de concert : « Je suis née en mai 68, ça tu peux le marquer !» Elle rencontre Philippe Jazarin à Marseille en 1995, il est alors gérant de l’association Coton Tige, une salle de concert perchée au Panier, rue Saint-Antoine : « C’était le même principe que la Machine : faire découvrir à notre façon de la musique.» Marcel nous interrompt : « J’habitais juste à côté alors c’était ma deuxième maison : je descendais carrément en pyjama, puis je les ai suivis ici ! » L’idée ? Ouvrir un lieu associatif qui propose le plus large panel possible de musiques. « J’ai commencé par faire des affiches pour les concerts. Mais c’est la rencontre avec Philippe qui a fait que je continue, en aidant un peu à tout. Je suis toujours sortie, j’ai toujours aimé la musique. » Un sacerdoce, manifestement, puisque Claire et Philippe ont hébergé des groupes chez eux pendant plusieurs années : « On a vécu pendant longtemps juste au-dessus du local et on hébergeait les groupes étrangers chez nous : on mangeait et on dormait à dix ! On a arrêté ça vers 2003, c’était crevant, il y avait souvent jusqu’à cinq concerts par semaine. Pour fonctionner, on a toujours privilégié le travail avec les associations, comme Le Dépanneur, Relax & Co, les Ratakans. On aussi pas mal bossé avec un tourneur belge qui nous a envoyé du monde. Le bouche à oreille a fait beaucoup, on n’a jamais appelé les groupes : ce sont eux qui viennent à nous. » La scène est dédiée aux autochtones en première partie, puis place aux étrangers. La formule a fait boule de neige : groupes français, mais aussi portugais, américains ou anglais. Flamenco, accordéon, fanfares gitanes, bref, melting pot world en semaine et punk rock, garage et metal le week-end. Des crêtes, du cuir, des clous qui envahissent le bar et se pressent dans la salle à l’ambiance surchauffée. Philippe est décédé en novembre 2007, laissant le milieu musical et associatif en deuil. Claire explique : « Je me suis habituée à travailler là-dedans. J’ai des coups de fatigue, mais je vois passer des gens qui sont contents, des groupes enthousiastes, c’est gratifiant. » A-t-elle déjà songé à arrêter ? Claire soupire, joue avec une cigarette qu’elle n’allume pas et lâche finalement : « Ce n’est pas mon style de faire des plans à long terme. Je ne me vois pas maintenant faire un boulot de huit heures par jour, avec un patron sur le dos ! Ici, c’est une forme de liberté et paradoxalement une forme d’esclavagisme peut-être, mais au moins c’est la mienne. » Dernier bastion alternatif musical imprenable, la Machine à Coudre n’a pas dit son dernier mot. Claire non plus.
Bénédicte Jouve
Soirée Coton Tige en hommage à Philippe Jazarin (1963-2007) le 31 mai.