La gêne éthique
Tapez « OGM » sur Wikipedia et vous vous apercevrez de la virulence de la polémique qu’induit le sujet : « Controverse de neutralité, guerre d’édition entre contributeurs… » Conséquence : le site n’autorise plus aucune modification de l’article. Ce débat oppose partout les pro, les anti et les inquiets, naturellement préoccupés à l’idée d’ingurgiter à leur insu des plantes résistantes à un herbicide ou à un parasite. Le progrès n’attend pas de nous que l’on y adhère. Il s’impose soit d’évidence, soit de force. Les organismes génétiquement modifiés sont plutôt de la deuxième espèce. Leurs promoteurs, les semenciers et autres céréaliers, constituent une force de frappe massive. Demandez au sénateur UMP Jean-François Le Grand, chargé de la question au Grenelle de l’environnement. Il a jeté un froid en affirmant publiquement avoir été approché par la société Monsanto et en accusant les semenciers d’avoir fait « main basse sur l’UMP » et « actionné » certains élus pour que le vent tourne dans leur sens. Le président de son groupe au Sénat a alors déclaré à son propos, après avoir repris la main : « Il a été exécuté à 2h38 du matin… mais il bouge encore. » Après un cheminement complexe dans les rouages du Parlement, la loi affirme la « liberté de produire et de consommer avec ou sans OGM ». Méfi, le label « sans OGM » signifie une présence tolérée dans les cultures sous un seuil fixé par le ministre de l’agriculture (aujourd’hui, 0,9 %). Les pro ont gagné. Leur ministre, évinçant celui de l’environnement dans le processus, sera chargé d’autoriser les cultures OGM après le seul avis d’un comité scientifique. Les citoyens, agriculteurs et autres écologistes n’auront qu’à lui adresser de vaines recommandations. En cas de contamination d’une parcelle bio ou ordinaire, seuls les producteurs d’OGM situés à proximité, et non les vendeurs de semences, pourront être tenus pour responsables. Leur risque ? Devoir compenser la baisse de prix de la récolte contaminée. Autant dire pas grand-chose pour un dommage irréversible. A la pointe de ceux qui veulent voir primer la santé humaine sur celle de l’économie, les anti ne sont pas en reste. Un délit a été prévu spécialement à leur endroit. Les faucheurs volontaires risquent désormais de deux à trois ans de prison et de 75 000 à 150 000 euros d’amende pour leur action. Alors que la grande majorité des citoyens français se déclarent opposés aux OGM, leurs représentants adoptent une législation contraire à leur volonté. Comment alors reprocher aux faucheurs de ne plus suivre les règles du jeu et de prôner la désobéissance civile ? Un temps sépare toujours l’avènement d’un progrès scientifique de la loi qui l’encadre. Entre les deux, seule l’éthique des hommes tempère leurs comportements. Aujourd’hui, elle pèse autant que du pollen génétiquement modifié disséminé aux quatre vents.
Texte : Victor Léo
Illustration : Sophie Lavillegrand