Portrait : Elise Vigneron (Théâtre de l’Entrouvert)
L’imaginaire à portée de main
Elise Vigneron fait un théâtre d’ombre et de lumière, un théâtre de l’entre-deux, sujet, forme, matière. Un théâtre de l’Entrouvert, comme disait René Char (1), nom qu’elle a d’ailleurs donné à sa compagnie, comme une illustration de sa démarche, de sa personnalité et de la discipline qu’elle utilise : la marionnette.
Anywhere, sa première création présentée aux Bernardines dans le cadre de son accompagnement d’artistes par les Théâtres, est saisissante de beauté et de poésie. Une adaptation glacée du roman d’Henry Bauchau Œdipe sur la route.
Le mythe d’Œdipe réécrit par le poète, romancier et dramaturge belge Henry Bauchau sonne comme une évidence dans l’univers très intérieur d’Elise Vigneron. L’idée de transposer le roman pour marionnette de glace et matière inanimée la place dans la problématique de la transformation : « Je n’ai pas gardé le côté narratif, seulement l’idée de la métaphore de la métamorphose et le lien du père avec sa fille dans une errance. Nous nous sommes concentrés sur un personnage qui chute, devient aveugle, perd tout, qui est sur la route avec sa fille, mais ne veut pas être avec elle, la rejette, puis petit à petit, ils se rapprochent, s’éloignent… Comment le personnage se transforme, d’aveugle en clairvoyant… Nous sommes sur des images assez ouvertes, pas du tout dans une forme de réalisme. »
Elise Vigneron aime l’idée de la faille, de cette ligne qui est toujours entre les choses, ce lieu un peu indéterminé, de passage. « La question de l’identité, du comment notre vie n’est faite que de passages dont la mort, de moments de flottements que la société essaye de gommer, de mettre de côté, m’attire beaucoup. Travailler sur la reconstruction de l’homme à travers la chute va à contre-courant de la société matérialiste dans laquelle nous sommes. Il n’y a pourtant qu’en chutant que l’on peut se transformer. Le texte de Bauchau est très poétique, et la poésie est importante en ce moment dans sa forme, hors de tout réalisme, dans la transfiguration des choses, ce qui en fait sa force. »
Pour la dramaturgie, la jeune femme a fait appel à Benoit Dreux, directeur du Centre des Arts Scéniques, structure de post-formation active dans les arts vivants à Mons, qu’elle a rencontré dans le marché professionnel d’un festival à la fin de ses études dans la très prisée Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières.
Benoit Dreux était la personne idéale pour lui servir de tuteur concernant la lisibilité de ce roman, ayant lui-même collaboré deux fois avec Henry Bauchau avant sa mort. Leur association s’est faite dans une espèce de dialogue entre les aspects vraiment très techniques (la particularité, la fonte de la glace) et les aspects narratifs. « Je voulais que le but de la pièce soit le même que celui de Bauchau, c’est tout, souligne Benoit Vreux. Pour le reste, j’étais confiant, Elise est une vraie artiste, de celles qui ne se posent justement pas la question de l’être ou pas. Bizarrement, au plus Elise avance dans son travail, au plus elle est calme, comme si l’échéance, au lieu de la stresser, l’apaisait. »
Elise affectionne en effet l’idée de la contrainte. Elle n’est pas une fille de challenge, mais de défi. Loin de la performance, qu’elle adopte simplement en tant que forme de ses œuvres, se rapprochant ainsi de ses études d’arts plastiques (à Aix-en-Provence), elle aime la confrontation pour créer, faire naitre de la surprise. Elle défie ses capacités autant que les lois de la physique, et parfois la résistance, car cette perfectionniste se confronte perpétuellement à l’immaitrisable.
Elles sont deux en scène : la marionnettiste Hélène Barreau, qui a construit la marionnette de glace, et Elise, qui devient Antigone au fil du récit. « Nous avons dû inventer une autre façon de manipuler en fonction des contraintes de la glace. Nous avons travaillé sur des poids et contrepoids, je la pousse, elle me revient, je la tire… il y a un côté circassien. »
Elise revient toujours à ses premières amours, le cirque, sa formation initiale qu’elle a dû abandonner suite à un problème de santé. Dans Impermanence, elle avait travaillé avec une circassienne, sur tout ce qui était renversements, porté/porteur.
Mais c’est finalement sur les planches qu’elle a trouvé sa place. Enthousiasmée par l’accompagnement des Théâtres, les structures dirigées par Dominique Bluzet (le Gymnase et les Bernardines à Marseille, le Jeu de Paume et le Grand Théâtre de Provence à Aix) : « J’étais moins proche du théâtre et finalement, je trouve ma place ici. La Région et la DRAC soutenaient mon travail, le Vélo Théâtre à Apt aussi… Je ne sais pas comment ça s’est passé pour que je me retrouve là, plaisante cette inconditionnelle discrète. Je fais un théâtre différent, plus bricolé, je me sentais loin des Théâtres dans l’imaginaire que l’on a de ces lieux. Mais je ressens une grande ouverture par rapport à l’art et une confiance dans les jeunes, j’ai été agréablement surprise. (…) J’aimerais m’orienter vers une approche tournée davantage vers plus le public, dans un processus de création pour une pièce qui se jouera dans un appartement ou dans un hôtel. »
Maintenant que le cirque s’est institutionnalisé, il semblerait que la marionnette prenne le relais de toutes les extravagances, se délestant au passage de l’image kitsch qu’elle véhicule encore.
Il sera d’ailleurs question du retour de l’art de la marionnette pour la prochaine édition du Festival d’Avignon, avec la nouvelle création de Bérangère Vantusso, L’Institut Benjamenta. Preuve que la discipline a tout à fait sa place chez les grands. Et que Dominique Bluzet se place dans la lignée d’Alain Fourneau pour présenter des formes émergentes aux Bernardines.
Marie Anezin
Anywhere par le Théâtre de l’Entrouvert : du 23 au 27/02 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er).
Rens. : 04 91 24 30 40 / www.lestheatres.net
Notes
- « Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, dit René Char, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant. » [↩]