Retour sur El Orgullo de la nada d’Angelica Liddell au MuCEM
Détruire, dit-elle
Ode à la fugacité de la vie, El Orgullo de la nada, créé par Angélica Liddell dans le cadre du cycle « Objets déplacés » au MuCEM, nous a transportés par la beauté morbide de sa poésie.
Le cycle « Objets déplacés » invite quatre artistes à visiter le Centre de Conservation et de Ressources du MuCEM afin d’y choisir un ou des objets voués à être le sujet d’une performance scénique.
De ce postulat, Angélica Liddell, troisième artiste à se frotter à l’exercice, a retenu le rapport conflictuel résidant entre l’idée même de conservation et l’éphémérité de l’existence humaine. Au départ, elle avait choisi trois objets pour leur qualité symbolique, une coiffe bretonne pour l’ornement, un pain pour l’aliment, une roue pour l’éternel retour nietzschéen. Elle avait également commandé un animal mort pour représenter concrètement le processus de décomposition. Elle les a tous abandonnés, préférant laisser à l’équipe du MuCEM le soin de lui octroyer un objet.
Comme dans toutes ses œuvres, l’essence de son travail est ici la parole déployée. Or, pour la première fois, ses mots passent par le filtre du corps et de la voix de Victoria Aime, jeune comédienne déjà présente dans la précédente pièce de l’Espagnole, Primera Carta de San Pablo a los Corintios. D’une grâce austère et d’une présence fulgurante, l’actrice articule les pensées d’Angélica Liddell lorsqu’elle visite le CCR, révoltée par l’absurdité de cet « empire de la camelote et de la pacotille » qu’elle surnomme à l’envi « musée de la mémoire gourde ». S’insurgeant contre le respect démesuré accordé à des objets du quotidien, elle dénonce la sacralisation de ces bibelots élevés au même rang que des œuvres d’art alors que « ce n’était pas Le Caravage, ce n’était pas Raphaël, ce n’était pas Giotto, ce n’était pas Mantegna, ce n’était pas Rothko, ce n’était pas Warhol… » et tutti quanti. Maugréant contre l’haleine fétide du guide ou contre la « laideur inépuisable de Marseille », Angélica/Victoria déclame que « des larves ont jailli de [sa] langue » et que « de la pourriture est née un rosier. »
Sa langue radicalement poétique pour seule arme, son geste empreint comme toujours d’une souffrance déchirante entend « détruire la vulgarité du matérialisme ».
Devant le tableau Le Christ mort de Mantegna projeté en très gros plan en fond de scène, une caisse immense dont l’interprète sortira une tasse en laiton ridiculement minuscule comparée à son contenant, ainsi débarrassée de l’orgueil dont elle fut gorgée.
Clou du spectacle, le film The Act of seeing with one’s own eyes de Stan Brakhage donne à voir une boucherie humaine littérale, des corps devenus viande et chair, matière sans esprit, carcasses destinées à être dépecées et vidées de leurs entrailles. Paysages de la désolation et de la désertion de l’âme, ces images dérangeantes, summum du gore, expriment une vérité essentielle sur la matérialité inéluctable de nos vies.
Barbara Chossis
El Orgullo de la nada d’Angelica Liddell était présenté les 4 & 5/03 au MuCEM, dans le cadre du cycle « Objets déplacés »