Festival de Marseille 2008
Hors les murs
Pour sa treizième édition, le Festival de Marseille a choisi de « s’expatrier » aux quatre coins de la ville afin de livrer un programme éclectique, centré cette année sur la musique.
De Stravinsky à Iggy Pop et les Sex Pistols en passant par les musiques actuelles turques, les artistes présents cette année ont largement puisé leur inspiration au cœur de la musique. D’abord la grande et incontournable Anna Teresa de Keersmaeker viendra danser elle-même son fameux Fase, monument de l’histoire de la danse contemporaine qui, à sa création en 1982 à Bruxelles, eut l’effet d’une bombe. Basée sur quatre morceaux minimalistes de Steve Reich, la chorégraphie s’articule autour d’un jeu délibéré à partir de quelques motifs de base : ligne droite, cercle, diagonale. En quatre mouvements dansés divisés en courtes séquences constamment répétées se modifiant peu à peu, la pièce propose un langage abstrait où les interprètes ne font pressentir aucun personnage. Une œuvre fondatrice pour l’artiste flamande qui, depuis, ne cesse d’explorer la relation spécifique entre musique et danse, analysant en profondeur la partition musicale, s’efforçant d’atteindre un rapport d’analogie parfait entre les deux arts. Par exemple, l’usage du piano dans un morceau de Steve Rech se reflète dans la danse par des gestes brefs et anguleux ; la chorégraphie dialogue avec la partition musicale de façon littéralement structurelle. La chorégraphe présentera également une œuvre plus récente autour de la musique de Bach qui permettra d’apprécier la maturation de son travail depuis Fase. Avec neuf danseurs et un pianiste virtuose, Zeitung cherche à incarner la musique de Bach dans toute son étrangeté, à faire naître l’émotion de la rigueur.
Autre chorégraphe amoureux de la musique, Michael Clark poursuit son exploration de l’œuvre de Stravinsky. On avait adoré son Mmm… l’an passé, déjanté et sophistiqué, dansé à la perfection. Part One clôt cette année sa trilogie autour du compositeur avec deux pièces. D’abord O, création basée sur Apollon musagète. Autour d’un cube en plexiglas, les danseurs ondulent, saccadés ou fluides, animaux ou végétaux. Objets, musique et corps sont décadrés et fantaisistes. Puis I Do, une variation autour des Noces, qui s’ouvre sur un document vidéo rare, une captation du compositeur dirigeant un orchestre. Le compositeur a des mouvements contenus, précis, émus. Un simple battement de paupière parfois. Transe intérieure que Clark cherche à retranscrire sur scène avec des danseurs délirants composant une noce peu orthodoxe.
Avec Anna Teresa de Keersmaeker et Michael Clark, le festival s’offre deux pointures de la danse contemporaine. Ces deux artistes constamment en recherche, poursuivant depuis longtemps les mêmes desseins, montrent surtout une prise de risque jubilatoire et un travail gigantesque et tout bonnement génial.
Parmi les multiples créations et soirées proposées, on retiendra l’œuvre totale Operation : Orfeo, opéra visuel en trois mouvements qui prendra toute son ampleur dans le Hangar 15 du Port autonome. L’Italienne Teodora Castellucci, étonnante de maturité, sera l’un des jeunes talents à découvrir avec un univers très personnel entrelaçant musiques, théâtre et impression de cinéma.
Le Liban, la Turquie et l’Afrique seront à la fête dans les soirées ciné-concert avec notamment la projection du magnifique Bamako, clôturant le festival et démontrant, en résonance avec l’exposition présentée au Hangar 15, que « L’art est une arme. »
Texte : Eva D
Photo : Operation : Orfeo par Roberto Fortuna
Festival de Marseille, du 20/06 au 17/07. Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com