Les Filles aux mains jaunes par la Cie Dynamo Théâtre © Bruno Mullenaerts

Les Filles aux mains jaunes par la Cie Dynamo Théâtre

Lutte des places

 

Jouée avec succès au Théâtre Joliette et au Théâtre des Halles d’Avignon, Les Filles aux mains jaunes de la compagnie marseillaise Dynamo Théâtre s’empare de l’épineuse place des femmes dans les conflits mondiaux, ici celui de la Grande Guerre. Du théâtre social et populaire dans le sens noble du terme, celui qui met en scène la vie, à retrouver cet été à Avignon.

 

Michel Bellier est l’auteur associé du Dynamo Théâtre, créé en 2009 par Joëlle Cattino. Certaines phrases de son très beau texte, écrit en 2007 et édité chez Lansman, résonnent en nous et claquent comme l’écho contemporain de la question intemporelle de l’émancipation des femmes. Une égalité que l’histoire et les hommes mettent régulièrement à mal, d’où la perte constante d’acquis durement gagnés. « Faudra bien que ça serve, ces années qu’on a passées, vous croyez pas ? » Cette phrase que le personnage de Julie prononce en France en 1918 pourrait être criée partout de par le monde, où les femmes luttent toujours et encore pour se faire une juste place.
Loin du pamphlet féministe, Les Filles aux mains jaunes est simplement l’histoire personnelle de quatre femmes qui se rencontrent à l’usine où elles fabriquent des obus pour nourrir leur famille et une guerre qu’elles n’ont pas choisie. Quatre trajectoires que la guerre de 14 et le départ des hommes au front font dévier de celles initialement tracées par leur appartenance familiale ou leur mariage, bousculant au passage les codes sociaux établis. L’arrivée de Louise la suffragette, les mauvaises conditions de travail, le deuil de leurs hommes comme de leurs illusions et l’empoisonnement progressif par la TNT vont décider ces femmes à prendre en main leur destin. « N’attends pas que quelqu’un parle à ta place, parle et raconte. » : tel est le pari réussi de ces quatre actrices magnifiques (Anne Sylvain, Céline Delbecq, Valérie Bauchau et Blanche Van Hyfte), qui témoignent face au public avec une justesse qui n’a d’égale que leur humanité.
Jeanne la réactionnaire (Anne Sylvain), celle qui symbolise le combat de l’ignorance contre le savoir, qui ne se connaissait qu’un seul ennemi, le Boche, et finit par demander clémence à la vie, fait énormément rire les collégiens par sa gouaille et ses répliques féroces.
Céline Delbecq, par ailleurs auteure, metteure en scène et directrice de la Compagnie La Bête noire à Bruxelles, artiste associée au CDN de Montluçon, est Louise la rebelle. Celle qui leur donne une conscience politique et les entraîne dans la grève tout en étant Coquelicot, la fleur fragile d’un printemps. Pour le personnage, Michel Bellier s’est inspiré de Marcelle Capy, la première femme à pratiquer le journalisme en immersion : « C’est grâce à elle que nous savons ce qui se passait dans les usines alors que Citroën, grand fabriquant d’obus, faisait circuler des films de propagande où tout était d’un blanc immaculé. »
La lumineuse Valérie Bauchau incarne Rose, naïve et curieuse qui pendra le relais de Louise dans le combat. Dans ce rôle très compassionnel, elle est comme à son accoutumée impeccable, jamais dans le surjeu. Joëlle Cattino et Michel Bellier ont découvert cette très grande comédienne, parente de feu l’écrivain belge Henri Bauchau, lors d’une lecture de Loin de Linden aux Théâtre des Doms à Avignon (un spectacle magnifique de Veronika Mabardi, mis en scène par Giuseppe Lonobile, avec également Véronique Dumont, qui a conquis l’année dernière le public du off d’Avignon). On pourra la retrouver prochainement au Sémaphore (Port-de-Bouc) dans Occident de Rémi De Vos avec Philippe Jeusette, mis en scène par Fréderic Dussenne. Un autre succès du Off, en 2014 cette fois.
Avignonnaise comme son nom ne l’indique pas, Blanche Van Hyfte, une habituée du Dynamo Théâtre, campe brillamment une Julie qui n’a pour politique que la vie, une femme ordinaire du peuple qui ne veut qu’aimer. Peut-être le personnage le plus contemporain dans ce repli sur soi et la question de l’engagement. Elle tourne également avec le Dynamo dans Vivre, comédie féminine au galop des illusions, une forme clownesque sur cent ans de féminisme.
La distribution franco-belge s’inscrit dans le désir d’ouverture de la compagnie. Elle avait déjà réalisé un projet de dimension européenne en 2012/13 avec deux sujets autour des femmes migrantes, Va jusqu’où tu pourras et Une odyssée moderne, mémoire et devenir des femmes migrantes (en partenariat avec la Belgique, la Turquie, la Roumanie et la France, qui avait reçu le soutien du Programme Culture de l’Union Européenne et de la Commission Internationale du Théâtre Francophone).
Joëlle Cattino ne met pas en scène une pièce mémoire, mais découpe le texte de Michel Bellier pour le rendre accessible à tous dans une forme assez cinématographique. Le décor, constitué d’un seul plan incliné, et d’effets subtils de lumière (signés Jean-Luc Martinez) laissent la part belle au texte, mais surtout au jeu. Tout est suggéré, la bande-son devenant musique live sur le plateau. Le compositeur Jean-Philippe Feiss, seul homme en scène, devient tous les hommes et impose subtilement ses arrangements en s’effaçant derrière la rythmique des corps et des mots.
Souvent présenté dans le cadre scolaire, le spectacle retient toute l’attention des plus jeunes. Un projet de partage que Joëlle a à cœur : « Peut-être que ce lien que l’on va tisser avec eux, autour de l’histoire et du besoin qui nous habite de parler, va leur permettre un retour évident au théâtre. Le théâtre est bien la maison du peuple. »
En résidence de création à la Chartreuse puis au Théâtres des Doms, le spectacle s’est ensuite joué six semaines au Théâtre Le Public à Bruxelles (coproducteur) où il a installé son jeu puis au Théâtre Municipal de Esch-sur-Alzette au Luxembourg. Il a fait des haltes de présentation à différents stades du projet au Sémaphore, scène conventionnée de Port-de-Bouc.
Les Filles aux mains jaunes est donc l’exemple type de coproduction et de mutualisation de moyens que les coupes drastiques du budget de la culture imposent. Tant en création que pour la diffusion, les lieux partenaires ont permis de faire exister les étapes de recherche et de mise en jeu nécessaire d’un spectacle sans sacrifier son public en le rodant sur scène. Ce qui se fait malheureusement de plus en plus souvent et trop fréquemment dans le Off d’Avignon. Rassurez-vous, Les Filles aux mains jaunes est fin prêt et son intérêt, confirmé, avant d’entamer le marathon du festival Off d’Avignon au Girasole.

 

Marie Anezin

 

Les Filles aux mains jaunes par la Cie Dynamo Théâtre était présenté du 23 au 26/03 au Théâtre Joliette-Minoterie et les 30 & 31/03 au Théâtre des Halles (Avignon)

Prochaines représentations :

  • Le 29/04 à l’Espace Gérard Philipe (Avenue Gabriel Péri, Port-Saint-Louis-du-Rhône).
    Rens. : 04 42 86 15 18 / www.scenesetcines.fr

  • Du 7 au 27/07 au Théâtre Girasole (24 bis Rue Guillaume Puy, Avignon), dans le cadre du Off d’Avignon.
    Rens. : 04 90 89 82 63

  • le 28/07 à l’Espace Jean-Baptiste Niel (Place Jean Pagnol, Valréas), dans le cadre des Nuits de l’Enclave.
    Rens. : www.nuits-enclave.com

Pour en (sa)voir plus : www.dynamotheatre.net