Sicile m’était contée

En attendant la sortie de son nouveau projet, Il Lungo Viaggio, à paraître en juillet, retour sur le parcours peu commun de Maura Guerrera, chanteuse traditionnelle sicilienne à Marseille.

C’est au début des années 2000 que la pétillante Maura, alors étudiante à Naples, rentre véritablement en contact avec la musique sicilienne de tradition orale. Très vite, elle est envoûtée par la magie et le mystère qui se dégagent de ces mélodies, mais aussi par ces jeunes Napolitains qui, sur les places de la ville, chantent et frappent ardemment le fameux tambourin. Elle se lance alors en quête d’un savoir-faire bien particulier, qu’elle ira chercher directement à la source : en Sicile. Sur place, elle voyage dans le temps et se prend de fascination pour ce monde rural qui travaille encore la terre à la main. Car au plus profond des cultures ancestrales du Sud de l’Italie, la musique, loin d’être un objet de divertissement, rythme chaque instant de la vie. Elle qui n’osait pas encore chanter fait la rencontre d’un grand musicien de la région, un des « Portatori della tradizione », qui la prendra sous son aile pour l’emmener dans des fêtes sacrées, de plus en plus nombreuses. Au fil de ses rencontres avec la tradition, la jeune femme développe une passion pour la transmission de ce patrimoine encore méconnu, même en Sicile. Un patrimoine qui ne demande pourtant qu’à vivre au présent, et qu’elle refuse de voir se perdre. Un patrimoine en forme de mélange d’arabe, de français et de diverses langues du continent africain, comme autant d’héritages laissés par les peuples qui ont habité l’île au fil des siècles.
Maura enchaîne ainsi les allers-retours entre Naples et la Sicile, où elle collabore avec de grands musiciens italiens (Lino Cannavacciuolo, Peppe Barra…), jusqu’à se faire un nom pour, enfin, se concentrer sur les musiques siciliennes. Aujourd’hui, si elle habite à Marseille, c’est en partie dû à sa rencontre avec les Bretons du groupe Nor Quartet, avec qui elle cosignera l’album Tra Mari. Adepte des Kan Ba’r Bistro (littéralement « Bars où l’on chante ») et de ce public toujours à l’écoute, elle enchaîne donc d’abord les voyages entre la Bretagne et l’Italie, avant de faire escale à Marseille…
Aujourd’hui, elle revient avec Il Lungo Viaggio. Tiré d’un conte italien de Leonardo Sciascia, le disque relate les aventures de migrants qui quittent leur Sicile natale à la conquête de l’Amérique, et qui débarquent pourtant, après douze jours de voyage, sur les côtes de cette même Sicile. Tirer des émotions comiques d’une situation dramatique est, selon Maura, « complètement sicilien ». Les départs, les retrouvailles, les racines… Celle qui a vécu à Naples, Rome, aux Etats-Unis et au Caire sait de quoi elle parle. « Quand on part d’un endroit, il y a toujours des choses qui nous manquent, même quand on retrouve les siens : des moments uniques, des musiques, des amis… La notion de voyage, de départ, tout le monde la connaît, mais sans jamais avoir le même ressenti. » Le déracinement, l’exil, ne jamais vraiment partir, en avoir ou non le choix… Autant de sujets qui la préoccupent aujourd’hui encore. Ce projet, ce disque, elle l’a développé avec des musiciens marseillais qu’elle a rencontrés au cours de sa carrière. Avec des chants ramenés de Sicile, ajoutés à l’imagination de Germain Chaperon, Malik Ziad, Thomas Lippens et Juri Cainero, le groupe oscille entre chants traditionnels, guitares flamenca, mélodies orientales et rythmes du bassin méditerranéen. Pour Maura, travailler avec des musiciens de cette trempe a eu un côté rassurant : « A la direction artistique, Manu Théron, grand musicien marseillais, a été un véritable atout. Lui qui connait si bien la musique, qu’elle soit méditerranéenne ou italienne. Etre seule, c’est fatiguant, mais le fait d’avoir été autant guidée et épaulée, c’était très agréable. » Le pont ainsi fait avec le milieu occitanophone marseillais, on la croise notamment à l’Ostau dau País Marselhés, mais aussi à la Casa Consolat, où elle donne des cours de chant. Avec toujours cette même île dans la voix…

Murielle Lebon

• le 20/05 à la Maison du Chant (15A rue d’Isoard, 1^er), dans le cadre d’une soirée de soutien au lieu.
  Rens. : 09 54 45 09 69 / www.lesvoiesduchant.org

• le 28/05 au Kawawatei (27 rue de la Loubière, 6^e).
  Rens. : 06 63 08 02 34 / www.mains-libres.org

Pour en (sa)voir plus : myspace.com/mauraguerrera