Sur la route d’Oklahoma de Franck Dimech
La mort leur va si bien
Adaptée de Kafka, la nouvelle création de Franck Dimech nous emmène Sur la route d’Oklahoma pour une danse macabre troublante et mystérieuse.
Sur l’espace longitudinal, un cadre scénique, matelassé d’un tissu beige au motif de croisillons, occupe tout le jeu : c’est un champ de patates dans un cercueil. D’emblée, les évocations contradictoires foisonnent, entre fertilité, mort et poussière soulevée par les pommes de terre qui roulent comme autant de chairs molles. Dans un coin mais en avant-scène, une jeune fille aux jupes longues (Camille Carraz) vient s’accroupir sur une litière de chat avec un plaisir indécent, saisissant le spectateur de son bonheur affiché. Brusquement, elle se précipite au fond du plateau, gravit une échelle et ouvre le petit vasistas, seulement pour écouter les pleurs d’un enfant qui n’est plus, un enfant devenu invisible — inaccessible ?
L’histoire est celle de Karl Rossmann (interprété par le trop rare Laurent de Richemond), un Allemand venu se présenter au Grand Théâtre d’Oklahoma , « le théâtre qui utilise tout le monde et chacun à sa place ! » Il est seul avec d’autres. D’autres qui évoluent à force d’attendre. Il va devenir leur proie. A leur contact, il se décompose et décompose lui-même tout ce qui le construisait : ses envies, ses désirs, ses fantasmes…
En adaptant Amerika le disparu et Description d’un combat, œuvres peu connues de Kafka, Franck Dimech nous dévoile un monde inconnu de ceux qui y vivent, fait de superpositions de mondes intimes. Sur la route d’Oklahoma vient ainsi nourrir ceux qui ont faim et ne donne aucune réponse à ceux qui refusent de se poser des questions.
La matière textuelle joue avec les ellipses, si bien que la communication, réelle entre les personnages, se trouve épurée des répliques inutiles, laissant ainsi le soin au spectateur de rétablir les sens multiples des dialogues. Malgré les intentions annoncées du metteur en scène de ne pas exposer de psychologies, on voit des êtres en devenir, qui se relient les uns aux autres sans s’attendrir, sans s’émouvoir. Le jeu excessif des comédiens ne vient pas pour autant troubler ni rompre l’intérêt que le spectateur peut porter à ce qui se passe — ou ne se passe pas — sous ses yeux. Davantage que la mise en espace, contenue dans ce terrain-cercueil, c’est la mise en corps qui nous émeut (en particulier celle de Boris Lemant, formidable « danseur de mort ») : les mains longues et ballantes de ces êtres mis à nu, le corps ému par l’expérience, les regards très prégnants, les bouches ouvertes, les organes de la communication exacerbés par la lumière crue.
Comme Karl qui répond à la figure opprimée du Soutier, on se retrouve nous aussi « heureux de ne pas savoir pourquoi on est là », mais d’être là. Etre là, au monde.
Texte : Joanna Selvidès
Photo : F. Blaise
Sur la route d’Oklahoma : jusqu’au 2 à la Friche la Belle de Mai. Rens. 04 95 04 95 04