Khamsa (France – 1h50) de Karim Dridi avec Marc Cortes, Raymond Adam, Simon Abkarian…
Le camp des gitans
De Pigalle aux ruelles de Cuba, Karim Dridi s’intéresse depuis ses débuts aux minorités, à la marge plus qu’au centre. Khamsa, son dernier film, se déroule à Marseille dans le « camp Mirabeau », véritable village de caravanes où résident de nombreuses familles gitanes. Avant d’aller plus loin, deux précisions s’imposent. La première : Khamsa est une fiction, malgré son réalisme assez « cru » et ses acteurs non professionnels, dont la plupart vivent au camp Mirabeau. La seconde : si vous allez au cinéma pour faire du tourisme social dans votre propre ville, vous risquez d’être fort déçus. Ici, pas de condescendance ou de misérabilisme, rien de tout ce qui fait la médiocrité quotidienne de nos télévisions : le camp de gitans n’est pas une zone interdite ou un cirque à la Kusturica. Le personnage central, Marco, a onze ans. Réfugié au camp pour éviter son placement dans une famille d’accueil, il y fait les quatre cents coups, des plongeons anodins dans le chantier naval de Saumaty jusqu’au cambriolage d’une villa bourgeoise. Dans sa manière de filmer l’enfance, Dridi se rapproche bien plus de Kanevski (1) que de Truffaut ; son naturalisme n’a rien d’artificiel et la distance qu’il entretient avec ses personnages semble parfaitement juste, bien loin de l’écueil tentant du voyeurisme. Plus qu’une succession de faits — dont la prédestination lève pour nous tout mystère —, le geste, le regard et le langage occupent le centre de l’écran, livrant des images très fortes. Cet enfant de trois ans que l’on calme en lui faisant boire de la bière ou ces visages bruns et soucieux d’adolescents dépenaillés qui se préparent à aller voler du cuivre resteront ainsi de très beaux moments de cinéma. Oubliez la sociologie ou la psychologie, ces photogrammes valent bien plus que de longs discours ; nous sommes là au cœur de la matière.
On a souvent cru par chez nous que les bons sentiments faisaient les bons films (Carpita, Guédiguian…), alors que seul importe le regard. Au petit jeu du réalisme social, Karim Dridi donne avec Khamsa une parfaite petite leçon de justesse, et si le film n’est pas sans failles, ses rares moments de flottement ne le rendent que plus touchant.
nas/im
Notes- A voir ou revoir : Bouge pas, meurs, ressuscite, sorti en 1990, une merveille de cinéma et de poésie.[↩]