De la guerre – (France – 2h10) de Bertrand Bonello avec Mathieu Amalric, Asia Argento…
Mort au combat
Ça commençait pourtant pas trop mal, quoi que : réalisateur en panne d’inspiration et en pleine crise conjugale, Bertrand — double patent de Bonello incarné par le toujours irréprochable et tout terrain Mathieu Amalric — décide de suivre à l’insu de son plein gré le mystérieux Charles (Guillaume Depardieu) dans un étrange château. Lieu isolé du monde et habité par une communauté utopique où se trament d’« autres » enjeux — comme jouir en permanence ou envisager la quête du bonheur comme un combat —, le Royaume, dirigé par la grande prêtresse Uma (Asia Argento), va servir de révélateur au déserteur… et faire basculer, hélas, le film dans du grand n’importe quoi. En roue libre, freins lâchés et pneus à plat, Bonello nous invite dès lors à un supplice de quatre-vingt-dix minutes, ne nous épargnant rien : scènes d’hystérie collective, chorégraphies surréalistes avec masques de sangliers et godes-ceintures, gymkhana érotique (même pas sauvé par la sublime Léa Seydoux), danses extatiques en sous-bois, siestes en mode hippie, grandes tirades existentielles et dialogues ineptes — « Je viens de me gratter le bras pendant une demi-heure, c’était bien. » Objet filmique aussi grotesque qu’entropique, De la guerre ne nous donne pas seulement à voir la mise en abîme et les errements d’un réalisateur complètement à la rue, mais aussi l’impuissance d’un enfant du cinéma empêtré dans une intertextualité trop grande pour lui. En citant — via une réplique, un caméo, une scène, un plan — Weerasethakul, Kubrick, Coppola, Van Sant, Cronenberg, Grandrieux, Ferran ou Lynch, le réalisateur du Pornographe nous permet de mesurer, juste retour de bâton, l’énorme fossé qui le sépare de ses illustres références. Sentiment validé par le dernier quart d’heure du film où Bertrand/Amalric rejoue la fin d’Apocalypse now, après l’apparition de Michel Piccoli en colonel Kurtz — ultime clin d’œil épileptique. Avant de s’éteindre le 30 novembre 1900 dans une chambre d’hôtel parisienne, Oscar Wilde prononça, encore et toujours spirituel, ces mots : « Est-ce le papier peint qui s’en va ou est-ce moi ? » Voilà ce que j’ai à peu près ressenti en regardant la scène de trop. Alors je suis parti. De guerre lasse.
Henri Seard