Retour sur Going Home de Vincent Hennebicq au Théâtre des Doms (Avignon Off)
L’antre à soi
Going Home est un spectacle qui nous rentre dedans, non pas frontalement (avec provocation et images crues) comme souvent lorsqu’on aborde les questions liées à l’immigration, mais en s’immisçant en nous doucement, profondément, jusqu’à l’âme. Et en s’y installant pour longtemps, longtemps, longtemps… car il est un écho de nous-même.
Going Home ne se limite pas à narrer le destin d’un homme noir adopté qui refuse l’intégration outrancière de son père autrichien, se perd et retourne vers l’Afrique, avant d’être expulsé vers l’Europe, telle une boule de flipper se cognant aux frontières du Nord, du Sud et plus encore de sa non appartenance. Vincent Hennebicq, l’auteur et metteur en scène de la pièce, met au centre de son propos la question universelle de la place que chacun doit trouver, dans le monde, dans la famille, suivant le sens qu’on lui accorde…
Vincent Hennebicq est un habitué du Festival d’Avignon, qui l’a révélé en 2012 dans Baal de Bertolt Brecht, mis en scène par Raven Ruëll et Jos Verbist, à la Manufacture. On a pu le voir ensuite deux fois dans le In en 2014, comme acteur avec Dire ce qu’on ne pense pas dans des langues qu’on ne parle pas d’Antônio Araújo et en tant que conseiller dramaturgique pour Notre peur de n’être de son ami Fabrice Murgia. Murgia avec lequel il a créé la compagnie Artara et qui signe ici avec Giacinto Caponio la scénographie et les lumières.
Si Vincent Hennebicq a toujours utilisé la musique live dans ses spectacles, elle atteint ici son apogée. Les sublimes compositions originales de Vincent Cahay (piano et batterie) et de François Sauveur (violon et guitare), jouées en live et illustrées par le travail vidéo d’Olivier Boonjing (réalisé en Ethiopie), se fondent dans la composition théâtrale époustouflante de Dorcy Rugamba (Rwanda 94).
Point fort du spectacle : ne pas faire reposer la mise en scène essentiellement sur le jeu de l’acteur mais sur la fusion théâtre/musique, en choisissant des comédiens-musiciens qui offrent un devant de scène royal à Dorcy Rugamba.
La musique pourrait paraitre outrageusement belle au vu des mots terribles qu’elle sert, mais elle en est sa force vive, la voix enflammée de la résistance de « Michalak l’Ethiopien ». Cette musique, travaillée ensemble sur la base du texte de Vincent Hennebicq, vient marquer la puissance d’un propos sans pathos ni mode, un destin à voir et à entendre au-delà du bien-pensant. Notons que l’imposant Vincent Cahay est également un des deux musiciens fantômes du fabuleux Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem.
La vidéo, utilisée à bon escient, est le témoin de cet ailleurs devenu chez soi. Projetée sur un rideau de fils, l’image ondule au gré des battements sourds de la batterie ou des bouleversants coups d’archer de François Sauveur, se faisant tour à tour ligne de fuite ou frontière.
Sur le plateau, rien ne prend le pas sur rien, tout est un dosage subtil à l’inverse du tumulte de la vie de Michalak. Dorcy Rugamba donne toute son humanité et sa fougue à ce personnage pris au piège entre ricochets du sort, désespoir et affres des règles de l’immigration primant sur celle de l’humanité.
Au final, Going Home frise avec la perfection, d’autant plus qu’il ne cède jamais à la facilité, en allant fouiller dans les imparfaits de chacun pour en sortir une note optimiste et non moralisatrice sur le monde.
Marie Anezin