Des trous dans la tête – (USA – 1h35) de Guy Maddin avec Isabella Rosselini, Gretchen Krich…
Les fantômes de l’enfer
A l’évidence, Guy Maddin ne vient pas de notre monde. Ses étranges sujets de préoccupation cinématographiques n’ont pas d’équivalent et n’en auront probablement jamais. Des trous dans la tête démontre une nouvelle fois — et définitivement — que ce créateur baroque et barjo, artisan d’une imagerie hors norme, n’a besoin que de quatre-vingt dix minutes pour balayer presque quarante ans du cinéma de genre. Le tout, à base de noir et blanc, sous influences « antiques » — Méliès, les expressionnistes allemands, Murnau en tête… Excusez du peu. Mort ou vivant, un homme d’allure incertaine, Guy (double du réalisateur ?), revient trente ans plus tard sur l’île de Black Notch où ses parents dirigeaient un phare/orphelinat. Une lettre maternelle lui intime de repeindre en blanc l’édifice qui tombe en ruine. Guy se met à l’ouvrage. Mais les couches de peinture accumulées ne suffisent pas, même symboliquement, à effacer un passé qui refait surface avec insistance. Les odeurs, les lieux, les gens réapparaissent. Commence alors un retour en arrière halluciné où se superposent sans arrêt une réalité refabriquée et une irréalité tangible. Le « héros » glisse rapidement dans des délires psychotiques où d’improbables personnages de roman séduisent sa sœur, où le père laborantin élabore un élixir de jeunesse pour l’omnipotente mère à partir de la moelle épinière des orphelins… Quant à la mère justement, monstre dominateur, castrateur, incestueux, elle veille sur cet univers avec arrogance et terreur grâce à des aérophones et une longue-vue liseuse de secrets. Avec Des trous dans la tête, Maddin ne limite pas son film à une histoire, à un simple objet racontable. Il réussit un étonnant tour de force qui redéfinit la modernité du cinéma et le sens profond de l’image. Magistral.
Lionel Vicari