Vicky, Christina, Barcelona – (1h37 – USA) de Woody Allen avec Scarlett Johansson, Penelope Cruz…
A en perdre Allen
Celui qui, il y a trois ans, visionnait d’un œil mi-clos le médiocre Melinda et Melinda, aurait sans doute du mal à croire à une résurrection du génie de Woody Allen. Pour lui, la dernière perle du cinéaste new-yorkais resterait à jamais Hollywood ending et tout ce qui viendrait ensuite ne serait que déchéance au regard de l’œuvre passée. Or, Woody vit depuis Match point une fin de carrière particulièrement étonnante, trouvant dans les affres d’un cynisme glacé le carburant inouï de son œuvre au noir. Qu’on ne s’y trompe pas : sous ses dehors de fiction glamour, gonflée aux formes aguicheuses de ses deux actrices effectivement affolantes de sex-appeal, Vicky, Christina, Barcelona est un petit bijou d’humour noir, piochant dans l’indécision chronique du héros allenien un motif comique d’une légèreté et d’une élégance rarement atteintes. Si les précédents opus européens d’Allen travaillaient la question du déterminisme social sur le mode de la fatalité tragique, ce versant barcelonais, ocre et solaire, renvoie carrément le problème dans le lit conjugal. Pour autant, de l’un à l’autre, c’est le même sentiment d’incomplétude, d’incapacité à donner à sa vie le sens fantasmé qui s’acharne à écraser de tout son poids chacun des personnages. Malin, Allen a finalement l’intelligence de ne plus croire en rien pour mieux conclure à la nécessité de l’insatisfaction comme moteur de la vie. Décliné en promenade méditerranéenne, cet hédonisme désabusé prend les airs d’une mélodie souple et fluide, construite avec sophistication autour de quelques beaux plans-séquences. Car rien ne sert de tout révolutionner pour réaliser de bons films, quand on trouve la justesse de ton qui permet à l’œuvre de se redéployer sans cesse. Et ça, seuls les maîtres le savent.
Romain Carlioz