Quatre nuits avec Anna – (France/Pologne – 1h27) de Jerzy Skolimowski avec Artur Steranko, Kinga Preis…
La nuit est mon royaume
Dans un village, au fin fond d’une Pologne austère, peut-être pas encore défaite de l’ère communiste, Leon Loksar, la quarantaine, voit les jours se ressembler avec fadeur et se succéder dans une interminable grisaille. Depuis sa sortie de prison — inculpé pour un viol qu’il n’a pas commis —, il travaille comme factotum dans un hôpital. Cet homme englué dans un ailleurs inaccessible ne parle pas, ne pense plus, pour se protéger des autres, du monde. Absent de sa propre existence, à peine semblable à une ombre qui donne la becquée à une mère mourante et alitée, il va pourtant plonger dans un chaos insondable, le chaos de l’amour fou. Une femme, Anna, celle qu’il a retrouvée, quelques années auparavant, tabassée et mutilée sur le sol d’un hangar, vient habiter près de chez lui. Uni à elle par un rapport ambigu (le châtiment injuste ?), totalement épris, il va la droguer et lui rendre visite quatre nuits d’affilée sans jamais oser ne serait-ce que la caresser. Jerzy Skolimovski aura attendu dix-sept ans pour nous donner cette œuvre inqualifiable. D’une facture sombre et rugueuse, quasiment physique, habité par un silence oppressant — qui fait figure de personnage —, Quatre nuits avec Anna captive de bout en bout. Construit en récits enchâssés, avec une temporalité extrêmement élaborée (l’ensemble situé sur plusieurs époques donne une sensation de continuité perturbante), le film traduit dans une folie fascinante et torturée l’étrangeté des rapports humains, l’aliénation et l’impossibilité. On n’imaginait plus, dans le système de production actuel, qu’on puisse façonner ce type de projet. Au même titre que Des trous dans la tête de Guy Maddin, Quatre nuits avec Anna offre l’opportunité de voir quelque chose de vraiment rare, il ne faut donc pas la rater…
Lionel Vicari