Stupeur et tremblement

A travers une réécriture contemporaine du mythe, François Cervantes et sa compagnie se confrontent à la figure de Médée, femme, mère, et monstre ?

Dès leur entrée en scène, la stupeur prévaut sur le visage des trois comédiennes, Anna Carlier, Hayet Darwich et Catherine Germain. Facettes de la figure de Médée, passeuses de son histoire tragique et vecteurs des larmes séculaires qui inondent sa trajectoire, leur trio rappelle les Moires, déesses du destin et de la fatalité.
Elles avancent péniblement dans le brouillard de la mémoire, se soutenant mutuellement pour dévoiler le mythe à nos yeux dans une temporalité suspendue, à cheval entre le présent et l’Antiquité.
Interdites face à l’énigme qu’impose la destinée de Médée, ces pleureuses à la présence souveraine parviennent pourtant, dans la douleur et magnifiquement, à mettre des mots sur l’indicible. Leur regard embué ne condamne d’aucun jugement cet « être absolu ». Avec une extrême précaution — « C’est important d’aller doucement », dit Catherine — elles posent une à une les pierres de la tragédie. De l’amour, fou, inéluctable et irréversible, avec Jason, à son entrée dans « un autre monde, celui des sculptures et des livres », via l’infanticide. Médée, la magicienne, « va terrifier l’humanité » et par là même passer à la postérité et acquérir le statut de mythe.
Comme tous les mythes fondateurs, celui de Médée nous place avant tout face à notre propre humanité ; ainsi le texte est ponctué de témoignages personnels des actrices, comme si elles tentaient de concevoir et de comprendre, avec nous et à travers leurs prismes à elles, les motivations de la terreur qu’elle a engendrée.
Par cette lente réflexion poétique, François Cervantes et ses comédiennes réussissent le tour de force de créer un théâtre antique contemporain, qui saisit à la gorge et frappe à la poitrine.

Barbara Chossis

Face à Médée par la ^Cie L’Entreprise : les 19 & 20/01 au Théâtre du Merlan (Avenue Raimu, 14^e).
Rens. : 04 91 11 19 20 / www.merlan.org