Identités remarquables – Julien Doré
Golden Julien
A l’occasion de son concert à Marseille, nous sommes allés à la rencontre du trublion arty du télé-crochet. Alors, pour ou contre Julien Doré ?
Julien Doré dans Ventilo. On entend déjà les critiques : « Vous n’allez quand même pas rentrer dans ce jeu-là ! Et puis franchement, vous avez écouté son disque ? » Nous sommes entièrement d’accord. D’ailleurs, nous l’avons clairement signifié à l’intéressé : Ersatz, l’album du lauréat 2007 de la Nouvelle Star, qui justifie tous les espoirs placés en lui et la tournée qui nous occupe, est un disque inoffensif, joli mais assez vain dans sa tentative de conciliation underground/mainstream, pop-culture/variété. Faire la promo de cet… ersatz n’est assurément pas l’objet. L’objet ? C’est le mec. Le premier à avoir détourné les codes de l’interprétation face à un public pour qui Hélène Ségara et Matt Pokora sont des monuments. Le premier à avoir introduit la notion de culture dans le télé-crochet — citer Herman Düne ou Marcel Duchamp en prime-time, ça désoriente un tantinet. Mais aussi, l’étudiant aux Beaux Arts qui gagne un temps sa vie en déplaçant des plaques de plâtre, avant de les essuyer parce qu’il se tape miss météo. Ou encore, le bluesman explosé de Dig Up Elvis, un groupe de rock indé à des années-lumière du casting impeccable de son album solo. Bref : un météore. Et tout le problème des météores, pour ceux qui ne veulent adopter qu’un seul point de vue, c’est qu’ils ne brillent jamais longtemps.
Figures imposées : les limites
Il y a quelques mois, Julien Doré a fait la une de Technikart, un magazine qui se place comme l’Actuel de sa génération (si tant est que cela soit transposable à nos années bling-bling). Manque de bol, la bible des branchés l’a copieusement allumé : Julien ferait plus attention à son image qu’à ses idées. A côté de ça, Julien a fait la une des Inrocks, et certainement de Télé 7 Jours, ce qui revient au même : on s’en fout. Mais cela traduit une chose : le garçon est partout, le garçon divise. Et marque donc un point, en combinant une couverture médiatique optimale à un buzz né de la discorde, puisque c’est bien connu, les artistes qui divisent sont aussi les plus intéressants… On a donc voulu en savoir plus en allant taper la discute avec lui, par téléphone, avant son concert à Marseille. Un poil nerveux, un peu brouillon, il a tâché de répondre à nos questions. Sur son disque (« Si j’avais voulu faire fermer la gueule à tout le monde, j’aurai fait un album de reprises ! »), sur Dig Up Elvis (« Evidemment que le groupe continue ! »), sur son intronisation dans le show-biz (« Y’a simplement un truc très affectif avec eux »), sur son avenir (« J’ai pas envie de penser à long terme parce que suis terrorisé par la suite ») et même sur son duo avec Carla Bruni dans Taratata (« Mais t’es complètement fou ! Je suis super fier ! Bien sûr que j’ai fait ça pour faire chier le monde ! »). Résultat des courses : on se retrouve avec une interview de quinze mille signes, traversée de quelques fulgurances mais souvent creuse, complètement parasitée par le contexte. Faut-il en vouloir à Julien ? Bien sûr que non. « Golden » Julien est né par accident en faisant le zouave sur un plateau de télé. On lui demande de faire sa Lolita, son Katerine ? Il réplique avec un disque « respectable », ballades romantiques à mille lieues du grand écart que l’on attendait de lui. On lui demande de justifier ses choix ? Il tacle en pointant le basculement de la critique dans le star-system, et nous pond un discours sur les vertus de celle-ci dans l’art contemporain… Bref : il se protège (et jusqu’à désamorcer les critiques en amont : ses deux singles explicites, ses interventions avec Louise Bourgoin). On ne saurait décemment lui en vouloir, une année seulement après son grand saut dans le vide. « L’idée, c’est aussi de se prendre des gifles ! Quand je touche la bite à Nikos Aliagas en arrivant sur le plateau de la Star Ac’, je ne pense pas à contrôler mon geste ! » S’il n’est pas évident de déraper dans un milieu où tout est millimétré, il ne l’est pas plus de contrôler tout ce que l’on voudrait faire passer…
Bouche pute ?
« J’avais envie de m’amuser des codes de la télé, donc j’y suis rentré pleinement (…) Quand je vais sur un plateau, je le fais de la même manière que quand j’écris une chanson, il n’y a pas de rupture. Il n’y en avait déjà pas quand Gainsbourg allait à Sacrée Soirée, donc certainement pas aujourd’hui où tout s’est accéléré : ce n’est pas dans un monde comme celui-là que je vais devoir justifier mes interventions. » Une évidence : Julien Doré a du talent, mais son nouvel eldorado colle mal avec ses ambitions artistiques. Il pense vite et bien, mais sa bouche a manifestement encore du mal à suivre. Il assume tout et c’est la moindre des choses, mais le discours du personnage prend encore le pas sur celui de la personne… Peu importe. Julien est vivant, perfectible, perméable. Comme sa marionnette dans les Guignols, il se cherche, car il n’est pas évident d’amener de l’intelligence dans le système, de la crédibilité dans le prêt-à-consommer. Avec lui, les codes de la télé-réalité ont changé. On en reparle dans une ou deux saisons…
PLX
Le 28 au Dock des Suds avec Hugh Coltman, 20h30. Rens. 04 91 06 33 94
www.juliendoreofficiel.com et www.myspace.com/digupelvis