Identité remarquable | Détachement International du Muerto Coco
Coco Bohèmes
En prévision de la Töy-Party, spectacle-concert hybride en cours de création, nous avons recueilli les impressions du Détachement International du Muerto Coco, alias Raphaëlle Bouvier et Maxime Potard, à leur sortie de résidence au Rack’am (Essonne). Histoire d’une rencontre à la lisière des arts.
Exit le questionnement métaphysique de l’origine du monde en lien avec l’arrivée première de l’œuf ou de la poule… La genèse du Détachement International du Muerto Coco s’appuie en effet sur la compagnie Le Coq est Mort (en référence à la célèbre comptine éponyme), qui prend naissance dans la rencontre de quatre élèves issus de la formation professionnelle La compagnie d’entraînement. Cette dernière, dirigée par le comédien et metteur en scène Alain Simon au Théâtre des Ateliers, propose un enseignement à la fois axé sur la liberté des formes de représentations artistiques, mais aussi sur l’approche quasi-scientifique du rapport au spectateur en lien avec l’acte théâtral, inspirant de ce fait les réflexions de la compagnie qui prendra peu à peu pour objet fondateur la poésie sonore.
Ces expériences serviront de fil d’Ariane à Raphaëlle Bouvier et Maxime Potard, et c’est sous leur impulsion qu’en 2012, Le Coq est mort laisse place au Détachement International du Muerto Coco, dont la sémantique militaro-philo-humoristique n’est pas sans nous éclairer sur la nature de ses futures créations, qui s’intéresseront à « l’écriture personnelle, à la voix amplifiée et aux extensions électroniques de la poésie sonore. » Suite à une commande passée par le groupe du Zoo Animal Quartet, Raphaëlle et Maxime composent leur première lecture, Lectures animales et électroniques, qui reprendra un corpus d’auteurs de poésie contemporaine sous la forme d’une performance bruitiste assumant avec sérieux l’utilisation de jeux électroniques pour enfants. Initiatrice d’une collection, elle se caractérisera par sa légèreté temporelle aussi bien que technique, permettant aux artistes de se présenter de façon autonome dans des structures de diffusion de la poésie (MidiMinuit Poésie à Nantes, Expoésie à Périgueux, Le Festival à Bruxelles…), mais aussi dans les festivals de rue (Aurillac, Châlon dans la rue, Les Sons du Lac…) et ailleurs (Biennale Européenne d’Art Contemporain de Nîmes, réseau Hors-Lits d’actes artistiques en appartement, et même un temple protestant dans les Cévennes !).
Dans le désir de développer des nouveaux espaces de déploiement de la poésie, les Muerto Coco construisent en août 2014 la Caravane Sonore, formidable théâtre sur roue habillé de gradins pouvant accueillir une jauge de vingt personnes, et permettant de déambuler dans l’espace public tout en le questionnant dans un lieu aux allures intimistes propice aux « mouvements émotionnels internes », le tout en accordance avec les différentes thématiques des Lectures [z]électroniques. Dans le cadre du projet Et si vous y croyez assez, peut-être il y aura un poney, il s’agira d’accroître à la fois l’espace scénique en réintégrant la scène théâtrale, et en soi, de revenir au plateau et à sa dimension d’espace prédéfini. Dans le cadre du projet collaboratif de la Töy-Party, le propos sera également d’amplifier cette idée du mouvement de manière exponentielle jusqu’au corps lui-même, et que ce mouvement lui-même s’empare du public dans la danse, dans une relation non plus intime mais « extime », voire flirtant avec le « dionysiaque ».
De l’art ou du cochon ?
Véritables « passeurs de texte », ces artistes aux inspirations moirées s’attachent à insuffler au public une part de doute sur leur propre pratique. Car il s’agit de réinterroger les fondements même de la poésie et du texte théâtral, notamment à travers une maîtrise scrupuleuse de la voix. Par le biais de balades sonores dans les villes/villages/quartiers, les artistes invitent les habitants à se réapproprier les lieux de leur quotidien, à recueillir leurs mots insufflés par leur mémoire, puis à les matérialiser sous la forme d’une « fresque sonore » dans le désir de dédramatiser le rapport à la poésie contemporaine. Objectif atteint lorsque l’on sort, euphorisé, partagé de sentiments divers et paradoxaux, des Lectures [z]électroniques et médicales.
Comme le clown qui sort de sa boîte, ces performances se meuvent par vagues sensitives avec quelques accrocs nécessaires, enivrants, faisant écho à l’écriture théâtrale, mais aussi à la musique. C’est parce que le texte prend matière dans la minutie de son découpage et de sa diction que le propos humoristique en ressort, saillant, comme un fossile gravé dans la roche. Les artistes aiment d’ailleurs à dire qu’ils cherchent à osciller entre « la crétinerie et le virtuose », méticuleux dans la préparation de leur intervention tout en déclarant ne pas avoir de méthode particulière pour travailler ensemble. Le processus de création se fait au cas par cas, dans une rythmique de la langue à double voi(e)x.
Un postulat qui semble fonctionner lorsque l’on constate la prise de légitimité du collectif, dont la relation avec les auteurs (Jacques Rebotier, Annabelle Verhaeghe, Pierre Guéry, Fanny Taillandier…) gagne en profondeur et dont la structure, progressivement, se professionnalise. Mention spéciale, d’ailleurs, au programme de structuration des Têtes de l’Art ayant contribué à cet objectif jusqu’en 2014, ainsi qu’à l’entreprise Lo Bol, qui met à disposition des professionnels de la culture spécialisés dans l’administration, et permet ainsi aux structures de bénéficier d’une expertise dans une logique de mutualisation.
De la sorte, le Détachement International du Muerto Coco semble s’inscrire dans le paysage culturel contemporain, où la transversalité est une force, où l’OVNI artistique perd progressivement son caractère d’étrangeté, ne craignant plus de passer du coq à l’âne.
Laura Legeay