Entity présenté au Pavillon Noir
La machine infernale
Petit précis de perfection du mouvement formel, Entity porte aussi des enjeux de sens a contrario d’une danse qui nous emmène dans un monde de performances.
Prodige de la danse contemporaine anglaise, Wayne McGregor n’est pas seulement né à l’ère de la reproductibilité technique, mais aussi dans le monde cybernétique. Il s’intéresse à ce qui pense la danse, non pas du point de vue philosophique mais du point de vue cognitif. Trouver des solutions originales à des problèmes chorégraphiques, voilà ce qui guide sa recherche. L’exercice en devient cérébral, technologique et performant : les dix danseurs, de véritables pointures si l’on ose dire, sont en fait des athlètes de haut niveau. Les formes s’amoncellent dans un perpétuel mouvement dansé, sans trame narrative, nous abreuvant ainsi d’images de corps, dans un dispositif abstrait évoquant un hippodrome puis un gymnase grâce aux trois panneaux délimitant le terrain, un peu comme des panneaux publicitaires autour d’une pelouse.
Entity n’est qu’un reflet de notre monde où la puissance s’allie à la virtuosité. Rien n’a le temps de se déposer. Les regards des danseurs sont étranges, trop forcés parfois, ou trop absents. Nulle émotion ne naît de cette virtuosité bouclée, constituée en système autonome, comme une piscine ou un terrain de sport où les athlètes choisissent d’entrer ou non mais sont irrémédiablement happés par la matrice qui ne les fait exister qu’en elle, pas en dehors.
Alors que Jules Etienne Marey cherchait la fixité dans l’image, il a inventé un procédé qui a permis au cinéma d’exister. Il s’agit peut-être ici du même paradoxe : Wayne McGregor nous livre une pièce technologique avec des outils uniquement humains. Et, de façon inattendue, ce sont les vidéos qui nous livrent autre chose, permettant une respiration et dévoilant peut-être l’intention du chorégraphe : les images du lévrier de Marey, mais surtout la neige de cendres qui étoile l’écran, évoquent pour certains les images de la guerre, quand les fours crématoires allant bon train (!) répandaient les cendres des victimes des camps d’extermination.
Nulle émotion donc, mais matière à réflexion : jusqu’où, jusqu’à quand, jusqu’à quoi ?
Joanna Selvidès
Entity était présenté au Pavillon Noir (Aix-en-Provence) du 15 au 18/01.