Cultures de plein chant
À quelques encablures de Marseille, en plein cœur d’un Var sauvage, se trouve un lieu précurseur en matière de musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs. Tour d’horizon du Chantier à Correns, à l’heure de son festival annuel.
Correns, c’est au total neuf cents habitants, dont certains ont choisi d’inscrire leurs activités dans une démarche de développement durable, de quoi se prévaloir d’habiter le premier village de France où tout est planté en bio. Correns, c’est la Provence verte, un écrin de verdure qui saura charmer les amoureux de nature. Mais Correns, c’est surtout le Chantier, véritable laboratoire de création, puisqu’il englobe des résidences pour des musiciens et compositeurs afin de concevoir et/ou enregistrer des créations axées sur les nouvelles musiques traditionnelles. Inauguré en 2002, le Chantier fut le premier lieu identifié sur le territoire national consacré à la création dans ce large champ esthétique, et les enjeux en la matière s’avèrent d’autant plus cruciaux à l’heure du tout mondialisé. Ainsi, à l’issue de chaque résidence, le Chantier organise les « Étapes Musicales » pour que le public puisse rendre compte de quoi il en retourne. Le Chantier organise également des « Étapes Musicales Pitchouns » pour les classes de primaire du territoire. Et donc, une fois par an, durant le week-end de la Pentecôte, le Chantier propose dans tout le village ses fameuses Joutes Musicales de Printemps, festival de musiques populaires, traditionnelles ou orales de Provence, d’Occitanie et d’ailleurs. Vous l’aurez compris, nous sommes là à dix mille lieues de la « French Riviera ».
Soucieux des questions posées autour de la culture, de l’identité et de la transmission, le Chantier nous offre une programmation particulièrement riche, variée et attrayante puisqu’elle inclut pas moins de quarante concerts sur trois jours. La culture, alors, qu’est-ce donc ? Parlons-en justement, ou bien chantons-la.
La culture, qu’es aquò ?
Côté polyphonies occitanes, vous aurez ainsi le plaisir de retrouver, ou de (re)découvrir les Languedociennes de La Mal Coiffée, qui se sont placées dans le top 10 du renouveau occitan de ces dix dernières années en propulsant le chant féminin dans les hautes sphères, et Tant Que Li Siam, qui puise son inspiration dans le patrimoine encore méconnu du Ventoux des textes écrits par des poètes de renom, parmi lesquels Gilbert Jouvaud ou Félix Gras. Ces approches que l’on nomme « traditionnelles » n’interdisent pas les croisements, au contraire, elles en sont plutôt le prétexte idéal, à l’instar des bidouillages électroniques du Dart Lab, dont les envolées bucoliques côtoient des grooves minimalistes et hypnotiques. En haut de l’affiche également, et incontournable dans le renouveau occitan entrepris depuis les années 60, l’on trouve Joan Francés Tisnèr, un pied dans la musique populaire du Béarn, l’autre dans l’électroacoustique. Il présentera sa création Tralhaires, autour du travail de collecte de l’ethnologue Félix Arnaudin, qui s’est attaché, au début du siècle dernier, à conserver tout ce qui touchait à la culture et aux pratiques des habitants des Landes de Gascogne. Une démarche des plus précieuses, car trop rare. Sans oublier, dans le même filon, Asondar (« inonder » en oc), pour une « exploration musicale et poétique ancrée ». Et bien sûr, le Duo Montanaro (le père, incontournable depuis les 70’s occitanes, à l’origine du Chantier, et le fils), qui offrira une musique piétinant tout binarisme paralysant populaire/savant, convoquant un véritable imaginaire tout en laissant ouvertes les portes (une marque de fabrique). Tout comme le duo Francois Heim & Alexei Birioukov, du Caucase aux Cévennes, alliant des thèmes traditionnels de ces deux régions à des compositions originales. Vous ne quitterez pas l’Europe de l’Est avec Aksan, qui présentera des musiques issues d’Europe Orientale et Balkanique, avant le bal du trio L. Rom, avec Chris Hayward en invité pour produire une musique née dans les cordes du oud.
Trans Provenca Express
De la Provence, on embarque pour les Caraïbes avec les Tambourinaïres en Cie qui utiliseront l’espagnol, le français et l’occitan pour visiter répertoires caribéens soutenus, entre autres, par les fameux et emblématiques tambourins provençaux. Des Caraïbes à l’Amérique Latine, il n’y a qu’un pas, que franchira Tambor y Canto, mélange explosif de rythmes traditionnels de l’Argentine, du Pérou, du Brésil, de Cuba et du Vénézuela, sur lesquels se promènera le piano jazzy de Simon Bolzinger. Un des clous du festival. Il est vraiment ici compliqué de ranger ces groupes dans des cases, et c’est tout à leur honneur. C’est aussi le cas du Bénéfice du Doute, soutenu par un accordéon diatonique et une harpe celtique, et Le Bus Rouge, qui interprète un opéra pastoral non sans un humour décalé, avec des envolées baroques et des dentelles bavaroises. Nos cousins québécois nous offriront La Strada, et ce qu’ils savent si bien faire : une fanfare de musique traditionnelle du Québec. L’Afrique de l’Ouest sera évidemment de la partie avec Samba Diabaté et Vincent Zanetti, qui font résonner les notes cristallines du n’goni, instrument des griots par excellence, et le Trio Dwan, bijou brillant de tons orientaux, et de cette couleur bleue propre au jazz lorsqu’il se teinte d’afro. N’oublions Kamilya Jubran, accompagnée de son oud, instrument millénaire joué dans tout le Moyen-Orient, qui se caresse traditionnellement avec une plume et comporte une corde libre (la chanterelle), un particularisme propre aux systèmes modaux d’ici et d’ailleurs, très présent dans les musiques arabes. Bonne route !
Catherine Moreau