Watchmen – (USA –2h43) de Zack Snyder avec Jackie Earle Haley, Patrick Wilson…
La confusion des sentiments
Le projet visant à adapter la BD traînait comme un cadeau empoisonné sur les bureaux des majors depuis vingt ans. Et l’on comprend pourquoi puisque, outre l’histoire particulièrement complexe, les super héros — décrits ici comme des êtres paumés, hésitant entre lâcheté, pessimisme nihiliste et folie — ne correspondent en rien aux critères bien pensants propres à Hollywood. A la fois impatients et inquiets, les fans ne savaient pour leur part qu’attendre de ce Watchmen. A l’arrivée, la surprise s’avère plutôt agréable. Le film conserve en grande partie l’esprit critique et désespéré de l’ouvrage de Moore, s’appuyant, avec intelligence, sur la psychologie tordue de l’ensemble des personnages tout en dressant le portrait d’un monde parallèle (sorte d’uchronie où les USA ont gagné le Vietnam et où Nixon en serait à son cinquième mandat) qui rappelle, de manière vive et sordide, le nôtre. Mais surtout, ce qui frappe ici, c’est cette capacité du réalisateur à ne jamais aller là où on l’attend. Les idées de fond et une certaine métaphysique priment sur les codes du genre, qui passent au second plan. Là où d’autres adaptations de comics (Les quatre fantastiques, X-Men 3…) n’offraient qu’une plate succession de scènes d’action navrantes et synthétisées à mort, Watchmen prend une direction (presque) opposée, où l’action est quasiment réduite à néant. Et tant mieux puisque, dès qu’elle se fait jour, ça tombe à l’eau (cf. la scène du sauvetage des enfants dans l’immeuble) — les scènes d’action n’existant que pour retenir des spectateurs venus voir un ersatz de Daredevil. Watchmen confirme ainsi le virage « humaniste » que semblent emprunter quelques blockbusters (de Wall-E au Che) prenant enfin la mesure de ce qui les entoure.
Lionel Vicari