Les inconsolés présentée dans le cadre de Pluri(elles), proposée par le Merlan
Entre Eros et Thanatos
En préfiguration au prochain cycle du Merlan, Sexamor, Alain Buffard a présenté Les Inconsolés, figures doubles et solitaires à la fois, où il est question de la sexualité de la « honte ». Bouleversant.
Noir. Plateau vide. Des membres surgissent de l’obscurité, sculptant l’espace de formes et révélant comme en négatif le mouvement invisible entre les corps immobiles. Enfin, du rideau apparaît un visage, qui observe. Le masque est étrangement lisse, générant une certaine angoisse de cette absence d’expression, de cette neutralité affichée qui désoriente. D’autres visages apparaissent, faits du même moule, rappelant ainsi la polysémie du mot « identité », en contrepoint à celui qui n’a pas de figure, et en regard de la notion d’identique.
L’orientation des désirs intimes, ici de l’homosexualité, forme la trame de ce triptyque chorégraphique. Ainsi, Les Inconsolés, ce sont trois rôles, trois masques, trois interprètes, trois scènes : une trinité de figures pour une seule identité, réelle, celle de l’individu qui cherche son « soi » à travers les autres.
Et dans une scène à trois qui nous emmène de la torture à son observation, les rôles se fondent, glissant progressivement vers le triolisme, et rappelant le difficile point d’équilibre de la relation ternaire. Dans la troisième partie, sans doute la plus troublante d’érotisme, un homme en slip est allongé sur scène, tandis qu’un autre homme, portant le même masque, caresse l’image du premier projetée sur son corps nu. Sensible métaphore d’une sexualité qui remplit une absence, cette image de fusion avec l’être aimé rend ainsi la solitude double. Cruauté de l’absence.
Les hommes disparaissent alors dans un jeu d’ombres chinoises qui se meuvent de façon érotique jusqu’à disparaître. Le plateau se dénude, les hommes sont dévastés et l’issue, tragique. Entre Eros et Thanatos, Les Inconsolés n’ont pas touché que le monde de la critique, mais aussi le public, l’amoureux, le solitaire, l’hétéro — qui devine peut-être un peu mieux les incertitudes d’une orientation sexuelle finalement aussi troublante aux yeux de celui qui la vit qu’aux yeux de ceux qui la voient.
Les Inconsolés sont peut-être ces êtres infinis dont Merleau-Ponty disait qu’ils échappent à toute saisie organisatrice. Ou tout simplement des êtres humains. Profondément beaux.
Texte : Joanna Selvidès
Photo : Marc Domage
La pièce Les inconsolés était présentée le 23/02 dans le cadre de la manifestation Pluri(elles) proposée par le Merlan