Libertés, libertés chéries
Initiées par Thierry Fabre en 1994, les Rencontres d’Averroès reviennent cette année sur la figure du philosophe qui leur a donné son nom et mettent en avant la question des libertés dans un début de siècle confus et douloureux.
Si, dans les sociétés occidentales, on a tendance à prendre la liberté pour acquise, il semble plus que jamais nécessaire de se demander où en sont nos libertés. Ce que tâcheront de faire les artistes, journalistes et penseurs d’Occident et d’Orient invités cette année par les Rencontres d’Averroès, dont l’ambition reste, saison après saison, de faire dialoguer les deux rives de la Méditerranée.
Jeudi 16, la soirée d’ouverture, proposée par l’IMéRA (Exploratoire méditerranéen de l’Interdisciplinarité), reviendra sur la figure même d’Averroès, philosophe, théologien, juriste et médecin arabe du 12e siècle — de son vrai nom Ibn Rochd de Cordoue — qui aura profondément marqué de son empreinte le monde musulman, mais aussi le monde chrétien.
Les trois journées suivantes, déclinées en tables rondes, seront consacrées aux divers questionnements autour de la notion de liberté.
La première table ronde questionnera les « libertés face au sacré ». Peut-on tout dire, tout décrire, tout dessiner ? La question ne cesse de se poser depuis les attentats de Charlie, dont la rédaction est de nouveau menacée depuis sa une consacrée à Tarik Ramadan. La problématique des relations entre sacré et profane déchaine les passions : quel équilibre trouver entre ce que certains considèrent comme un droit absolu et ce que d’autres prennent pour du blasphème ? Autant de questions auxquelles tenteront de répondre Pascal Amel (fondateur de la revue Art Absolument, écrivain et critique d’art), Yadh Ben Achour (juriste tunisien et spécialiste en droit public et sur les théories politiques islamistes), Anastasia Colosimo (doctorante en théorie politique et enseignante à Science Po Paris en théologie politique) et Isy Morgensztern (enseignant en histoire des religions, réalisateur et auteur). Le musicien franco-libannais Bachar Mar-Khalifé, dont les compositions mêlant jazz, musiques traditionnelles et électroniques évoquent le déracinement, viendra ponctuer cette journée avec un concert solo au piano.
Le lendemain, il sera d’abord question de la liberté face à la terreur. Comment préserver les libertés, publiques et privées, dans un contexte de terreur ? Doit-on sacrifier de sa liberté au profit de la sécurité ? Avec le Patriot Act aux États-Unis et l’inscription dans la loi française de dispositions relatives à l’état d’urgence, le dilemme se pose et s’impose aux sociétés démocratiques. Sous la houlette de Joseph Confavreux (journaliste à Médiapart), le journaliste syrien Mohammad Al Atassi, la chercheuse Loulouwa Al Rachid, l’historienne Nora Lafi et le haut fonctionnaire Christian Vigouroux débattront de ce sujet qui, là encore, résonne particulièrement avec l’actualité, alors que l’on commémore les attentats du 13 novembre 2015 en France.
Samedi après-midi, c’est la question des libertés face aux pouvoirs autoritaires qui sera posée à Cenzig Aktar (politologue, journaliste et écrivain turc), Lina Attalah (journaliste), Jacques Rupnik (directeur de recherche à Sciences Po Paris) et Michel Tubiana (avocat et ancien président de la Ligue des droits de l’homme). Face à la montée en puissance des pouvoirs autoritaires partout dans le monde (Turquie, Égypte, Corée du Nord… la liste est longue), l’Europe elle-même cède désormais aux sirènes nationales-populistes, qui règnent déjà en maîtres dans certains pays de l’Est (Pologne, Hongrie, République Tchèque…). Existe-t-il encore des chemins possibles pour défendre, voire étendre les libertés ? Le respect des droits humains est-il toujours une exigence de l’humanité ?
Cristallisant tous ces questionnements, la Syrie, tiraillée entre le régime de Bachar Al Assad et les islamistes, fera quant à elle l’objet d’une soirée spéciale, pendant laquelle quatre intervenants — Mohamed Ali Atassi (journaliste et documentariste), Justien Augier (écrivaine), Farouk Mardam-Bey (essayiste et éditeur) et Laurent Van der Stockt (photographe) — débattront en lien avec la projection d’extraits de films, de vidéos, de photographies… histoire de poser « des images face aux clichés ».
La dernière table ronde, dimanche, permettra de s’interroger sur la question des libertés face aux changements économiques et numériques. En apparence moins « urgent » que les autres thèmes abordés cette année, le sujet ne s’est pourtant jamais posé avec autant d’acuité. Le politique, voire le peuple, est-il encore souverain face à la loi du marché ? Les réseaux sociaux sont-ils des outils de mobilisation citoyenne, comme cela a été le cas au moment de la révolution tunisienne, ou servent-ils plutôt de moyens de contrôle de nos vies, privées comme publiques ? Deux grandes questions (parmi d’autres) qui seront débattues par Raouf Boucekkine (professeur d’économie et directeur de l’IMéRA), Farah Hached (juriste, enseignante et militante tunisienne), Marilena Koppa (professeure de politique comparée à Athènes, ancienne députée européenne) et Jean-Marc Manach (journaliste d’investigation sur Internet).
Les Rencontres se termineront cette année de manière exceptionnelle avec la présence, dimanche à 15h, d’Asli Erdogan, pour l’une de ses premières apparitions depuis qu’elle est sortie de prison et a pu quitter la Turquie. Lors d’un grand entretien, l’écrivaine et journaliste turque évoquera la situation dans son pays, mais aussi ses romans et de la place qu’occupe la liberté dans ses écrits.
In fine : quatre jours riches en débats pour penser la Méditerranée des deux rives et le monde qui nous entoure, à l’aube d’un siècle où, malgré les progrès, la liberté semble ne cesser de reculer.
Cynthia Cucchi (avec Mathilda Muzzupapa)
Les Rencontres d’Averroès : du 16 au 19/11 au Théâtre La Criée (30 quai de Rive Neuve, 7e).
Rens. : 04 84 89 02 00 / www.rencontresaverroes.com
Le programme complet des Rencontres d’Averroès ici