Pâquerette et Sylphides présentées au Merlan dans le cadre du cycle Sexamor
Oh my gode !
Pour le moins atypiques, François Chaignaud et Cecilia Bengolea ont présenté au Merlan deux pièces issues de leur réflexion sur « l’intériorité du mouvement », en prenant cette fois la peine d’aller provoquer jusqu’aux enjeux sociaux de la représentation du corps en mouvement.
Martha Graham, pionnière de la danse moderne, avait bouleversé le monde en imaginant de faire partir du vagin les mouvements de son corps. Ici, le titre Pâquerette, qui peut évoquer la façon dont Mallarmé parlait de la danseuse comme « la Fleur de notre poétique instinct », sonne ainsi comme un pied de nez à la danse des genres. La danse a plusieurs sexes, surtout quand on la fait partir de l’anus. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Pénétrant dans la salle, le spectateur observe ces deux êtres revêtus de brocart, aux traits préraphaélites, aux regards intenses et étranges, assis l’un contre l’autre. Lumière crue, pas de musique, seulement leurs bruits de bouche et de gorge. Après vingt minutes de contemplation amusée, coup de théâtre, les corps se renversent et les pieds jetés en arrière laissent découvrir leur anus avec, planté là, un… godemiché cristallin ! Ecartant l’opposition du masculin et du féminin, il les unit ici autour d’une origine commune de plaisir, où nulle tension érotique n’apparaît. En fait, la chose est ludique, plus naïve et enfantine que libidineuse. Légère comme une fleur des prés, elle amuse par sa fine impertinence, sans insolence et, surtout, sans voyeurisme.
Avec Sylphides, leur dernière création, les deux Fous cherchent à aller au-delà des apparences des corps. Trois pneumatiques noirs sont sur scène ; une femme d’allure stricte, tout droit sortie d’une morgue lynchienne, vient aspirer littéralement avec sa machine l’air des sacs, laissant découvrir des corps ainsi mis sous vide. Image forte que cette opacité anonyme des corps, qui évoque tour à tour la mort — et pire — l’asphyxie, mais aussi, paradoxalement, la renaissance, quand le souffle, comme fonction vitale, permet de réanimer le mouvement, tâtonnant. La métamorphose se fait. Peu à peu, s’agglutinant, explorant, tâtonnant, les êtres vivants sortent de leur chrysalide de latex et montrent leur figure humaine. La pièce se termine par une prodigieuse et surprenante salve de mouvements désarticulés, qui nous laisse avec l’idée de premiers pas maladroits mais vivants, parce que cherchant et osant.
Texte : Joanna Selvidès
Photo : Alain Monot
Pâquerette et Sylphides étaient présentées au Merlan dans le cadre du cycle Sexamor du 1er au 4/04.