Wendy & Lucy – (USA – 1h20) de Kelley Reichardt avec Michelle Williams, Will Patton…
Chienne de vie
Originaire de l’Oregon, tout comme Todd Haynes (Loin du paradis, I’m not there) et Gus Van Sant (Elephant, Paranoid Park), avec lesquels elle collabore régulièrement, la réalisatrice de Wendy & Lucy confirme avec ce troisième long-métrage bouleversant qu’il se passe décidément quelque chose, cinématographiquement parlant, du côté de Portland. Deux ans après l’épuré et naturaliste Old joy, sorte de balade mélancolique en forme de bilan amical, portée par le spectral Will Oldham et le gracile Daniel London, Kelley Reichardt confirme avec une cohérence folle son engagement dans une voie artistique intransigeante (de l’effet de l’économie des moyens sur les préoccupations artistiques), viscéralement humaine (sommes-nous reliés ou est-ce chacun pour soi ?) et éminemment politique (filmer la marge plutôt que l’exclure). « Coincée » dans un bled paumé de l’Oregon, après le passage au marbre de sa voiture, Wendy — (dés)incarnée par la phénoménale et mutique Michelle Williams, à mille lieues des années Dawson — entame sa descente aux enfers le jour où disparaît sa chienne Lucy, sa seule alliée, son trait d’union primitif avec la société. Déboussolée, orpheline de son repère canin, Wendy enclenche alors un glissement sournois vers l’exclusion, le vagabondage et l’illégalité, voyage de tous les dangers. S’il est question ici, comme dans Old joy, de l’évaporation d’un lien affectif et social à travers le dramatique parcours d’une jeune femme, W&L nous donne aussi à voir la marginalité comme un élément révélateur de l’implacable brutalité de la société américaine, comme l’entendaient les écrivains Jack London ou Mark Twain. Tout en louchant, avec ses verres correcteurs américains, sur le cinéma de Fassbinder, peuplé de personnages poussés hors du système, qui établissait déjà, il y a quarante ans, cette réflexion profonde sur les rapports des classes et leurs désastreuses conséquences. Kelley Reichardt continue, entre délicatesse et rudesse, de nous donner des nouvelles du monde : on veut bien y aller jusqu’au bout, en sa compagnie.
Henri Seard