Invasion Monteverdi
Fruits de sa passion
Monteverdi débarque à Marseille avec cette notoriété fondatrice de l’excellence et de l’exemplarité italienne. La « fama » dont jouissaient quelques artistes à l’orée du XVIIe siècle participait au prestige et au rayonnement civiques au moyen de spectacles où la musique disputait son éminence à la peinture, à la poésie, et se réconciliait avec elles sur le théâtre d’opéra. Marseille Concerts, le Festival de Saint-Victor et le Théâtre de la Criée célèbrent le 450e anniversaire de la naissance du compositeur en réveillant les passions puissantes qui l’animaient.
Guerra, Amore e Ballo
Protecteur des arts et des lettres, Vincent 1er de Gonzague collectionne les merveilles auxquelles son rang et sa fortune lui donnent accès. Parmi celles-ci, les plus prisées seraient, dit-on, quelques bellezze callipyges dont il veut posséder, à tout le moins, l’évocation sur la toile ou le vers galant. À son service, Monteverdi expérimente les passions excessives de la cour de Mantoue jusqu’à la mort du duc en 1612. Il les traduira dans ses Madrigali guerrieri e amorosi qui valorisent l’ostension des affects et deviendront l’un des bréviaires stylistiques du nouveau modèle italien dans l’Europe entière. Incroyable foisonnement de ces temps florissants, Rubens est employé lui aussi à la cour de Gonzague, de 1600 à 1608, à peindre des portraits d’apparat (1), instruments de diplomatie entre princes belliqueux.
Concerto Soave, dans son interprétation du Combat de Tancrède et Clorinde présentée à la Criée le 28 novembre, relève le dynamisme conquérant des formes musicales de Monteverdi qui fait pendant à la plastique baroque du peintre, participant tous deux au triomphe du langage allégorique et de la figuration réaliste. On aime repérer le choc des heaumes de parade, imaginer le froufrou de fraises dentelées, le cliquetis des épées en fer doux et le froissement des plumes de perroquet… dans l’artifice de ces passions de théâtre où culmineront, à la fin du siècle, la scène de folie et l’aria de tempête.
Ménageant la douleur d’Ariane, l’ensemble de Jean-Marc Aymes progresse discrètement dans le Lamento, comme Persée pour couper la tête de Méduse, sur ce qu’il y a de plus léger : le vent et les nuages de la voix caressante de la soprano María Cristina Kiehr. Enfin, l’interprétation des Scherzi musicali affiche cette nonchalance amusée qui donne de l’agrément à la cadence d’une taille souple ondoyant dans le chiffonnement de belles étoffes…
Orfeo Je suis mort en Arcadie
L’influence et l’emprise que certaines œuvres ont exercées dans la fabrique musicale de leur temps leur accordent aujourd’hui une place essentielle dans l’histoire des arts. Il en va ainsi de L’Orfeo de Monteverdi, premier opéra d’ampleur conservé dans son intégrité et servant de repère originel du genre.
D’autant plus étroit le chas par où passe la réussite de ce pastiche (à la fois jeu, parodie et brillant exercice de style) qui réemploie des fragments de la partition et du livret pour investir le thème du drame lyrique d’une vision braque, excentrée, en un mot, baroque. Ce n’est pas la première fois que Samuel Achache renoue avec un théâtre de tréteaux, sans pompe ni solennité, en revendiquant son fondement dans la généalogie de l’opéra (2). C’est la puissance des chefs-d’œuvre que d’en être la cible. La distance que le metteur en scène (3) prend avec l’original est celle de l’art au sujet qu’il reconstruit. Elle repose sur une invention qui n’a ni la curiosité ni le culot à envier à son modèle. Jamais Favola in musica n’aura mieux mérité son nom.
Les arrangements musicaux de Florent Hubert préparent le geste, le mot et l’interaction de groupe mais nous font accéder également à des sphères de représentations décalées parmi lesquelles l’improvisation de jazz la plus virtuose et la récitation accompagnée la plus historiquement informée se tutoient. La prise de risque des comédiens-musiciens y est permanente. Tous multiplient les équilibres d’acteurs funambules, trouvent des tours d’adresse de jongleurs ménestrels pour nous entraîner dans l’étourdissante aventure amoureuse d’Orphée et nous déposer stupéfaits, en Arcadie, la mythique région du plaisir naturel et spontané.
> Les 1er et 2/12 au TNM La Criée, en partenariat Marseille-Concerts
Miroirs & Monteverdi
La mise en regard de l’ancien et du moderne proposée par l’ensemble vocal Musicatreize avec la collaboration de Concerto Soave réunit le lointain et le semblable dans un jeu d’échos et de reflets à la manière dont les miroirs ouvraient, à l’intérieur des tableaux renaissants et baroques, une nouvelle voie d’accès au sens d’une profondeur insoupçonnée. Si les individus créateurs ne parvenant plus à incarner la construction formelle du style ancien semblent trancher, comme Alexandre le nœud gordien, dans le consensus esthétique de leur époque, Roland Hayrabedian fait valoir dans son programme que Claudio Monteverdi, Domenico Scarlatti et Lucien Guérinel peuvent aussi se rencontrer, au-delà des formes de l’innovation, dans la constante des mobiles profondément sensibles qui les mettent en mouvement et en quoi nous pouvons nous sentir encore si proches. Les Litanies à la Vierge (1626), le Stabat Mater (1719 ?) et les Quatre chants pour un visage (1992) offrent trois moments de grâce qui donnent à croire à l’éternel retour de la beauté.
> Le 7/12 à l’Abbaye de Saint-Victor (soirée proposée par Marseille-Concerts et le Festival de Saint-Victor)
Chevaliers des arts et des lettres
S’il existait Neuf Preux en musique comme en chevalerie, Claudio Monteverdi prendrait place dans le cercle de gloire. Au soir de sa vie, la renommée du Maître de Chapelle de Saint-Marc est répandue dans une Europe à feu et à sang à laquelle il apporte son viatique musical (4)). Son visage, tel que l’a immortalisé le portrait de Bernardo Strozzi, révèle des traits acérés, mélancoliques. Vulnérable comme le vieux chevalier de La Mancha à la césure des années 1600, comme lui un pied dans chaque monde, l’artiste semble méditer sur ses vertes années. Son regard interrogateur et pensif est traversé par toute la lyre des sentiments orphiques d’où ne s’excluent ni l’espérance, ni le deuil.
Roland Yvanez
Invasion Monteverdi : jusqu’au 7/12 à Marseille.
Rens. : 04 96 17 80 00 / www.theatre-lacriee.com
Le programme complet de l’Invasion Monteverdi ici
Notes- Exposés jusqu’au 14 janvier au Musée du Luxembourg, Paris.[↩]
- Le Crocodile trompeur d’après Didon et Enée de Henry Purcell[↩]
- En collaboration avec Jeanne Candel[↩]
- Il ne connaîtra pas la fin de la terrible Guerre de Trente ans (1618-1648[↩]