Harun Farocki – Empathie à la Tour-Panorama
Travailleurs en prise
Première rétrospective en France de l’œuvre d’Harun Farocki, Empathie propose une sélection exceptionnelle de neuf installations vidéo emblématiques du réalisateur qui a fait du travail le sujet de sa vie.
- Fin de journée. Bâtiment aux allures de ferme. 45 secondes. Les travailleurs sortent en masse. La Sortie de l’usine. Les frères Lumière.
1995. Fin de journée. Bâtiment aux allures d’usine. 36 minutes. Les travailleurs sortent en masse. Les Ouvriers quittent l’usine. Harun Farocki.
Un petit groupe de spectateurs curieux se forme devant une rampe de onze décennies de travailleurs quittant l’usine sur douze écrans de télévisions qui se succèdent avec un air de déjà-vu. Le premier film de l’histoire du cinéma, en 1895, consistait à filmer le personnel de l’usine Lumière sortant de son lieu de travail, d’abord les ouvrières, puis les cadres. Quitter le monde du travail, c’est ce que montre la première tentative de cinéma.
Nécessité ? Aliénation ? Force d’émancipation ? La notion « travail » suscite de nombreuses interrogations contradictoires. C’est le motif récurent de l’œuvre prolifique du cinéaste Harun Farocki.
Pour la première fois en France, une grande rétrospective lui est consacrée. L’exposition monographique Empathie, actuellement à la Friche Belle de Mai conjointement à une rétrospective au Centre Pompidou, déploie les grands axes de réflexion chers à l’artiste sur le monde du travail et ses évolutions spatio-temporelles : relation au travail, déshumanisation, nouveaux enjeux dans le contexte actuel.
« Il faut être aussi méfiant envers les images qu’envers les mots, écrivait Harun Farocki. Images et mots sont tissés dans des discours, des réseaux de significations. […] Ma voie, c’est d’aller à la recherche d’un sens enseveli, de déblayer les décombres qui obstruent les images. »
Sous forme de neuf installations vidéo, la caméra de Farocki est un outil patient ; aucune volonté pédagogique, aucun jugement n’est imposé. Le spectateur n’est pas manipulé par l’outil. Il est seul face à la routine de la cadence d’images brutes, vives, sans détour. De là nait ce précieux sentiment d’empathie.
Plutôt que de dénoncer l’emprise de la société du spectacle, Farocki ouvre un espace de pensée sur ce que les images montrent, les unes avec les autres. À chacun d’y superposer son regard, ses pensées et, peut-être, sa révolte.
C’est un spectateur actif, en proie à ses expériences, qui se dessine au fur à mesure des déambulations autour d’hommes aux gestes mécaniques et de machines bien dressées.
Bangalore, Buenos Aires, Hanoï, Johannesburg, Le Caire, Mexico, Moscou, Rio de Janeiro, Tel Aviv… ils bossent, agissent, burinent, aiguisent, boulonnent, produisent, perfectionnent, triment. Les villes se répondent sur des écrans géants, les gestes de leurs travailleurs se répètent à l’infini au rythme de la productivité.
Nous sommes seuls face à ces vidéos d’un monde du travail aliénant, confrontés à notre liberté de mouvement dans et entre les images. On ne peut sortir indemne de ce parcours, dans lequel le travail apparait plus que jamais comme outil ultime de soumission à un ordre social, nous donnant cœur à crier « Ne travaillez jamais ! ».
Nadja Grenier
Harun Farocki – Empathie : jusqu’au 18/03 à la Tour-Panorama (Friche La Belle de Mai – 41 rue Jobin, 3e).
Rens. : 04 95 04 95 04 / www.lafriche.org