Identités Remarquables | Malika Moine
Exquises esquisses
Malika Moine a sillonné le globe dans tous les sens et, comme d’autres avant, en a rapporté la conviction que le véritable voyage commence en bas de chez soi. Sa deuxième livraison de Croquis Croquant vient confirmer son talent d’illustratrice. Mais pas que.
Ce soir, Malika Moine a mis les petits plats dans les grands. C’est aux Grandes Tables de la Friche, cantine de son amie Marie-Josée Ordener, qu’elle présente Croquis Croquant, la suite…, sa chronique dessinée de 52 bons restaurants de Marseille. De nombreux chefs, avec qui elle a noué des liens forts, sont présents pour l’occasion. Pendant qu’on picore de petites tranches de caillette accompagnées de vin blanc, une foule compacte se presse devant l’immense tablée où, studieuse, la jeune femme dédicace son nouvel opus. Souriante et disponible, elle reconnaît que « c’est comme ça à chaque sortie de livre. »
Depuis ses premiers pas dans la cité phocéenne à l’âge de 18 ans, cette bonne vivante a tracé son chemin à l’instinct. Fascinée par les lumières de la ville, la native de Bonnieux laisse tomber Hypokhâgne pour s’immerger dans le monde interlope de la nuit marseillaise de la fin des années 90. Le temps d’un été, elle en devient même un personnage emblématique en détournant de son origine première une sulfateuse, pour le plus grand bonheur des noctambules assoiffés.
À cette époque, elle ne dessine pas encore. Le déclic a lieu lors d’un voyage au long cours en Amérique Latine : « Je n’avais jamais vraiment dessiné mais je m’étais toujours imaginée en train de le faire. J’observais des lieux et je m’imaginais un stylo à la main… » Elle apprécie « le temps long que l’aquarelle procure, à l’inverse de la photo, et surtout les liens que cela crée avec les gens. » Dès lors, elle ne quittera plus sa boîte d’aquarelles.
Aujourd’hui, lassée du format du carnet de voyages, un brin trop restrictif, qu’elle pratique depuis une vingtaine d’années, elle réalise des carnets du quotidien, s’imposant comme une « reportère d’images » à part entière. À l’instar du photojournaliste qui relate le monde avec des photos, elle se sert du dessin pour évoquer des thèmes qui lui sont chers. En 2013, elle se rend chaque semaine dans les bidonvilles de La Parette et de La Capelette avec le journaliste Jan-Cyril Salemi. Un travail fort qui fait toujours écho, puisque certaines de ses planches sont publiées dans le nouveau numéro de la revue Urbanismes. Avec Salemi, elle est également partie l’an dernier dans la vallée de la Roya pour rendre compte de l’accueil des réfugiés et des réseaux de solidarité.
Ses livres témoignent, chacun à sa manière, de son engagement mais surtout de sa volonté de replacer l’humain au centre du débat. Qu’il s’agisse de Tournée générale, un portrait intime de Marseille à travers ses bars, ou de Cœurs à l’ouvrage, qui aborde la thématique du travail. Inspiré en partie des recherches de la sociologue Marie d’Hombres, le recueil met en avant métiers et savoir-faire d’hier et d’aujourd’hui par le biais de délicates illustrations et de textes souvent très personnels. Croquis croquant la suite… ne fait pas exception à la règle. Bien plus qu’un guide illustré finement, avec cette touche de candeur et de poésie qui n’appartient qu’à elle, c’est le parcours gourmand de Malika, qui a testé les 52 restos, que l’on suit.
« Tout me nourrit, assure t-elle. Je fais des livres sur les restos parce que je suis gourmande, sur les bars parce que j’aime sortir, mais j’ai aussi besoin de faire des choses plus engagées. » Engagée, la dessinatrice l’est assurément. Au moment où on la quitte, elle confie « avoir la naïveté de penser qu’un dessin peut changer le monde. » Après une soirée passée en sa compagnie, on n’est pas loin de le penser aussi…
Emma Zucchi