La Femme sans tête – (Argentine / France – 1h27) de Lucrecia Martel avec Maria Onetto, Inés Efron…
L’évaporation d’une femme
Depuis son premier miracle — La Cienaga, splendide fable aqueuse et sensuelle autour d’une bourgeoisie gisant aux abords d’une piscine boueuse —, Lucrecia Martel impressionne par sa volonté de ne jamais se départir d’un parti pris formel précis et audacieux. D’où, parfois, un parfum de jansénisme (La Niña santa) entraînant une certaine incompréhension, comme celle qui a entouré la projection cannoise de cette Femme sans tête, désignée à tort comme le mouton noir de la sélection 2008. Une fois à distance de l’émoi festivalier, le troisième film de Lucrecia Martel s’avère pourtant un prolongement, certes inégal, mais palpitant de son cinéma. Construit autour d’un récit minimaliste et arc-bouté sur des choix visuels presque aussi resserrés, La Femme sans tête radicalise encore le principe à l’œuvre dans les précédents opus. Tous les éléments du décor sont là (bourgeoisie provinciale minée par un autisme incestueux, violence des rapports sociaux…), mais concentrés en un seul corps, celui de Veronica (superbe Maria Onetto), coupable d’avoir écrasé un enfant sans s’arrêter sur son crime. Elle s’évapore progressivement de cette société factice, suivie au plus près par une caméra qui gomme, par l’absence de profondeur de champ, l’existence même du monde alentour. La première partie est ainsi d’une rare beauté, Veronica traversant les différentes strates de son univers (famille, personnel de maison) en marionnette qu’on embrasse, caresse ou malaxe avec une coupable prévenance. Et si l’effet ciné-bulle se dégonfle inéluctablement (la faute à une indécise oscillation entre thriller social et fantastique), le film laisse une empreinte intense ; comme si ce mélange d’inachèvement et de profonde authenticité constituait désormais la force du travail de Martel.
CR