Identités Remarquables | Kemmler
Plume de poids
Alors que tous veulent faire du lourd, Kemmler arrive léger comme une plume. Depuis deux ans, le rappeur monte en puissance, mais ces derniers temps, tout s’accélère : il enchaine clips et sorties de morceaux. Si localement, sa popularité ne cesse de grimper, ce qu’il veut désormais, c’est démontrer son talent à la France entière. Et rappeler à tous que le rap marseillais n’a rien perdu de sa verve.
Son allure est reconnaissable entre toutes. Sûr de lui il s’avance, mais même dissimulé derrière ses lunettes et son bonnet, il n’est plus un anonyme à Marseille. Kemmler est devenu en quelques temps ce que la ville attendait depuis longtemps : la figure d’un rap conscient qui s’assume pleinement.
Il découvre dès 2004 son aisance pour l’écriture et le pouvoir des mots lors d’ateliers dans son collège. Cette addiction prend rapidement la forme d’une ambition : il veut écrire, vivre de ses textes. Il se lance alors dans la musique, accompagné de son ami de toujours, Verbal, avec qui ils vont former le duo Renega. Malgré la sortie de plusieurs morceaux, les deux amis n’arrivent pas à décoller et se sentent oubliés par le milieu. Mais en éternel obstiné, Kemmler persiste et projette de se lancer en solo.
Un coup du sort fait alors basculer sa jeune carrière. Nous sommes en 2016. Alors que son projet solo n’en est qu’à ses balbutiements, le hasard l’emmène sur la route d’un propriétaire de studio d’enregistrement, avec lequel le courant passe immédiatement. Ils se mettent d’accord pour enregistrer un premier morceau au titre prémonitoire, C’est l’heure. C’est en effet l’heure pour Kemmler qui, en quelques mois, cumule les vues sur YouTube, suscitant un engouement aussi fort qu’inespéré. On y découvre un artiste à la plume aiguisée, frappée sur l’enclume, qui marque les esprits et amène la réflexion, le tout sur une instrumentation simple mais efficace. Pour la première fois, l’artiste doit faire face à une demande. Il se lance alors dans plusieurs projets à la fois : d’abord sa série de morceaux Kématiques, qui lui permet de sortir quelques inédits bluffants et de garder un contact constant avec ceux qui le suivent, puis la sortie de la mixtape Éprouvante Passion en 2017. Mais cette mixtape enregistrée à la hâte, qui oscille entre le bon et le moins bon, n’est qu’une façade pour le gros projet qu’il prépare en studio : la sortie de son premier album.
« Une succession de trucs improbables »
Deux ans de travail pour en arriver à ce 8 juin, deux ans de travail qui marquent la naissance de Rose, ce premier album tant attendu par ceux qui le suivent, son premier pas dans le monde professionnel. Produit sur le label Sailor Mood en référence évidente aux mangas des années 90, cet album s’est dévoilé ces derniers mois avec des morceaux comme 10 du Bayern, Mona Lisa ou Pardonne-les. On y découvre une production bien plus travaillée et soignée. Nous sommes prévenus, Kemmler rappe en Super Saiyan depuis qu’il a les cheveux longs : ses textes se sont affinés et touchent différents thèmes qui l’inspirent comme les relations amoureuses ou la musique. Entre allitérations et rimes cachées, Kemmler, qui « ne dit pas un seul mot [qu’il n’a] pas écrit », nous livre des textes poignants et transcendants. Même si, pour lui, « l’essence du rap […] est l’écriture », le MC ne néglige pas pour autant ses instrumentations et sait s’entourer pour les réaliser. En témoigne Joachim Pastor, qui apparaît sur le dernier morceau dévoilé par Kem, Minuit Passé. Le mélange de leurs univers respectifs fait des étincelles avec ce morceau qui suspend le temps et un clip qui nous transporte dans une atmosphère pastel. Non content de s’adjoindre les services de Joachim Pastor, qui a finalement masterisé le projet entier, Kemmler s’est aussi entouré d’autres personnes qui lui permettent d’avancer comme N’To, Duane, mais aussi Tolec, son directeur artistique depuis quinze ans maintenant, et Verbal, qui le suit tant en studio que sur scène comme seul et unique backeur.
Il le confesse bien volontiers : tout cela est arrivé par « une succession de trucs improbables ». Ces deux dernières années ont été intenses pour le MC Marseillais, mais ses ambitions s’avèrent toujours plus folles. Il se met à rêver de remplir un stade de foot, en demande toujours plus, et ne se contente jamais de ce qu’il a, car selon lui « si tu te contentes, au final tu contentes peu de personnes. » Il voit dans cet album un moyen de rendre au rap ses lettres de noblesse. Il se veut porteur d’une musique qui délivre des messages et des idées, puisqu’au-delà de l’album, l’artiste nous dresse un portrait plutôt critique du rap hexagonal aujourd’hui. Déplorant l’égoïsme des rappeurs français qui cherchent à limiter la concurrence, Kemmler prend l’exemple du hip-hop américain et aimerait que ce milieu cherche à s’étoffer, à aller chercher ceux qui méritent plus de reconnaissance. Même s’il admet avoir exacerbé ce sentiment à l’époque de Renega, il demeure encore présent dans son esprit, mais de manière plus atténuée. Cependant, au-delà de ce constat, il vante la qualité du rap francophone et notamment de nos voisins belges avec ses fers de lance Damso, Hamza ou Caballero & JeanJass, et rappelle que ce style musical reste le plus streamé aujourd’hui.
Paradoxalement, si Kemmler est actif depuis quatorze ans, cette année résonne comme celle du commencement pour lui. Bien trop attaché à sa ville pour pouvoir en partir, cet amoureux de Marseille, dont l’humeur dépend des résultats de l’OM, a pris « le temps de connaître [ses] faiblesses pour arriver à connaître [ses] forces. » Aujourd’hui, il récolte le fruit de son obstination, prend sa place dans le rap hexagonal et en bouscule quelque peu les codes. Il n’est pas encore un grand nom de la scène hip-hop nationale mais, plein de bonne volonté et porteur d’un souffle nouveau, il a tout pour le devenir. Rose est son premier grand pas, le point culminant de ses débuts ; et la réception de ce premier album lui donnera assurément le ton pour faire le second.
Théo Renoux