La République Marseille : œuvre en sept films de Denis Gheerbrant
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Est-ce d’avoir été directeur de photographie sur le sublime Heure exquise de René Allio qui a décidé Denis Gheerbrant à venir tourner vingt-cinq ans plus tard à Marseille ? Quelle qu’en soit la raison, le cinéaste offre à la ville une pièce maîtresse de cinéma !
Est-ce parce que Marseille est si protéiforme qu’un film seul ne suffit pas à en dessiner les contours ? Robert Guédiguian et René Allio n’ont pas fait un seul film sur la ville, mais plusieurs ; Jean-Louis Comolli et Michel Samson ont à peine abordé la question politique de la cité en sept films et douze heures de programme ; jusqu’à Circuit Court et son entreprise de s’attaquer à un arrondissement spécifique dans chaque documentaire. Il faut du temps — valeur suprême — à Marseille. Et le temps, c’est de la pellicule. De la pellicule et du réel. Laisser le temps que l’humain s’imprime sur la bande. C’est à ce voyage extraordinaire que nous convie Denis Gheerbrant, immense documentariste, dans une œuvre fleuve qui, sans nul doute, fera date dans le cinéma marseillais. Le réalisateur, soutenu par Richard Copans des Films d’ici, sort sept films sur la ville sous le titre sublime La république Marseille. La totalité du Monde, les quais, l’Harmonie, Les femmes de la cité St-Louis, Le centre des rosiers, Marseille dans ses replis et La République forment une œuvre dense et cependant fluide, une quête humaine et cinématographique aux confluents de la chair (l’humain), de la pierre (la ville) et de l’eau (la mer). Chaque personnage-acteur est impliqué consciemment ou non dans une dramaturgie urbaine quasi mythologique. La pratique même du réalisateur est en soi affaire de morale. Denis Gheerbrant a déambulé presque deux années dans la cité, décidant de prendre seul en charge les contraintes du tournage. Pas de cadreur, de preneur de son. Une approche brute et frontale (les entretiens sont parfois filmés de très près, permettant d’en capter au mieux le son) qui n’est que le dernier acte d’une relation tissée bien avant l’image. La construction de chaque opus est à peu près identique : un personnage central, pivot du film, offre son regard, son parcours, une visite guidée de SA ville. Sans aucune prétention d’hégémonie cinématographique, Denis Gheerbrant rappelle image par image, avec une poésie folle, sans aucun idéalisme hypocrite, ce qu’est la République, propriété d’un peuple. Les enjeux politiques et historiques sont intelligemment abordés, surtout lorsque la caméra part se balader sur le port autonome ; les réalités sociales, des cités aux quartiers du centre-ville, sont dévoilées sans commisération par les habitants eux-mêmes, et les contingences urbaines, au détriment des populations, restent en filigrane des films. Le grand écart entre les mois, les années passées dans les rues de Marseille et le minimalisme des conditions de tournage permettent d’embrasser sept univers, parmi tant d’autres, d’une ville à nulle autre pareille. Parce qu’au fond, c’est l’acte de vivre et de filmer qui perdure. Comme le rappelle le cinéaste : c’est cela, un film, de bout en bout un geste, un seul et même geste.
Emmanuel Vigne
La République Marseille : œuvre en sept films (France – 6h) de Denis Gheerbrant. Sortie nationale le 7/10.