Manger à l’œil au Mucem

La grande bouffe

 

« Manger » connaît son lot de synonymes variés : déguster, engloutir, grailler, picorer, goûter, croûter, ingérer, bâfrer, piffrer…  Une activité que le temps n’a d’ailleurs jamais altérée.  Si la gastronomie est vue comme une héritage délicieusement frenchy, elle représente davantage une belle tranche de vie. De la première image de repas (réalisée par Nicéphore Niépce en 1823) jusqu’au food porn (écœurant ?) de notre temps, l’exposition Manger à l’œil  au Mucem se laisse dévorer… des yeux. Un parcours follement goûteux !

 

Si manger est par essence nécessaire, ses représentations et célébrations se révèlent souvent révolutionnaires. L’exposition Manger à l’œil offre à ses visiteurs un échantillon photographique parfaitement cuisiné au fil des années. Suivant une évolution historique « mouvementée », cet hommage aux pratiques culinaires des Français est un aperçu aussi édifiant que ludique. Des conserves des Poilus de la Grande Guerre aux repas collectifs en entreprise, des soupes populaires qui vont croissant (façon de parler) aux bouillons Kub « superstars » des foyers, des premières cocottes-minute ménagères aux congés payés gourmands en plein air… Tout est ici passé au tamis, au fil d’une chronologie plus révélatrice qu’il n’y paraît. Chaque époque connaît des codes de dégustation ciblés. Autant de mutations alimentaires qui donnent le tournis puisque de pénuries en excès, il n’y a parfois qu’une bouchée.

Au mur, des clichés et autres célébrissimes affichages publicitaires (Frigidaire, dès 1916, vient rafraîchir l’atmosphère), des installations décoratives distrayantes (nul doute que le mobilier de la parfaite kitchenette des années 50 soit aujourd’hui très prisé), mais aussi des messages « derrière l’image » : la potée pour mieux plâtrer l’estomac des soldats engagés, le pain comme arme de résistance massive, les denrées rares et les manques accélérateurs de cafard, le pinard venu « squatter » les bancs de l’école pour mieux brouiller le savoir, l’ouragan Moulinex censé libérer les femmes à l’aide d’un slogan désarmant, les grand-messe politico-télévisée à déguster, attablés, entre camembert et dessert (gare aux indigestions répétées ?), l’avènement de la fast puis de la slow food, du malsain et des graisses saturées, le géant McDo et les ripostes écolo… Tant de symboles et de changements qui relèvent de la consommation de masse. Tant d’innovations et d’avancées se frottant pourtant aux ras-le-bol répétés.

Tous ces clichés prouvent finalement que manger n’est pas aussi « élémentaire » qu’on le pensait : l’acte est parfois engageant, à en juger les hommes de pouvoir de l’hexagone ou plutôt leurs assiettées. Une série de photos sacralise aussi bien les grosses marmites généreuses de Chirac que le duo cordon bleu-macédoine de Macron (de la graille à la diète, n’y a t-il qu’un changement de parti et de « tête »?). L’acte est souvent statistique quand, selon les appétits « sondés », à l’unanimité, le couscous est déclaré plat préféré des Français. L’acte est toujours symbolique : individualiste à l’ère du food porn graphique et d’autres mises en scènes trop belles pour être gueuletonnées, mais aussi rassembleur à souhait et témoin d’une envie commune de savourer et de partager. Au fil de l’exposition Manger à l’œil, ce sont toutes les contradictions alimentaires françaises qui mijotent ensemble au gré des événements et des années. Survie impérative, phénomène de mode aux prises du marketing, pur plaisir collectif… Les significations sont légion lorsqu’il s’agit de se nourrirÀ table ! Pour le meilleur et pour le pire…

 

Pauline Puaux

 

Manger à l’œil : jusqu’au 30/09 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).

Rens. : www.mucem.org