Le festival actOral.8 présenté du 28/09 au 10/10 à Montévidéo
Sur leurs lèvres
Foisonnant, changeant de ton(s), variant les plaisirs, essuyant aussi parfois quelques déconvenues, le festival actOral a offert une multitude de fenêtres sur le monde.
L’événement veut donner l’occasion aux mots de se mettre en bouche, en corps et en voix, et aux auteurs, celle de (dé)former leurs pratiques d’écritures pour en créer d’autres, hybrides — rejoignant ainsi les propos de Joël Pommerat, qui refuse à raison le clivage de l’esthétique et de l’intelligent, du sensible et de l’intellectuel dans la création artistique, aussi bien dans la production de l’œuvre que dans sa réception.
D’aucuns diront de la rareté de la narration dans les œuvres qu’elle est la décadence d’une création contemporaine en perte d’inspiration et de sens. Pensons plutôt que dans cette période confuse, les artistes veulent pointer l’essentiel, la magie des courts instants de bonheur, les sentiments qui nous construisent et tout ce qui crée l’identité, de l’individu comme de l’humanité : vie, mort, amour, perte, liens…
Troublant, Rire d’Antonia Baehr, proposée par Marseille Objectif danse, nous a décontenancés. L’artiste a demandé à sa famille et à ses amis de lui écrire des pièces musicales de rire, qu’elle interprète pendant une heure. Sa qualité d’exécution s’apparente à celle des plus grands ténors, effet renforcé par l’allure masculine et robuste de l’Allemande. Variant les partitions, la pièce passe par un moment de trouble jubilatoire, quand l’artiste s’agite derrière un écran de plexiglas, créant une image tout droit sortie d’un tableau de Francis Bacon ou du salon rouge à damiers de Twin Peaks.
Si la pièce souffre de longueurs et crée parfois de l’impatience chez le spectateur, il n’en reste pas moins qu’elle fait partie de ces œuvres dont on parle ensuite, et dont on se souvient longtemps.
Autre temps fort, celui des écritures italiennes. La performance Wunderkammersoap#1_didon de Stefano Ricci et Gianni Forte dans la minuscule salle de bains des appartements de Montévidéo nous montre l’univers (forcément) intime d’un travesti en proie au désespoir et au suicide. La proximité, la formidable qualité d’interprétation, ainsi que le sujet — un homme qui aurait rêvé être dans un autre corps — créent en quelques minutes un lien extrêmement fort et authentique avec le spectateur. Bouleversant.
Pour le reste, on retiendra (de façon arbitraire) les « Impromptus », ne serait-ce que pour leur principe : proposer un même film d’art à des auteurs et compositeurs. On a particulièrement apprécié l’exercice de Jean Claude Espitallier sur le film de Fiona Tan, la lecture, belle et simple, de Dorothée Volut, l’agréable compagnie du collectif Ildi !Eldi !, qui nous a fait partager les pistes du chantier de sa prochaine création, L’Argent, ou encore la projection humaniste et poétique de Dries Verhoeven.
On regrettera seulement de n’avoir pu assister à la lecture du texte de Rainald Goetz par le surprenant comédien Thierry Raynaud (auparavant mis en scène par Hubert Colas), également maître de cérémonie, dont la prestation fut qualifiée d’excellente dans les couloirs du festival. On aura aussi raté, hélas, les projections de Valérie Mréjen, la lecture de Jérôme Game ou le concert de musique électronique du planant compositeur berlinois Alva Noto.
Déjà, actOral s’éloigne pour la capitale puis pour Nantes. Vivement l’automne prochain, pour (ré)entendre les voix singulières de ces auteurs nous devenant familiers.
Texte : Joanna Selvidès
Photo : Wunderkammer soap 2 – © Mauro Santucci
Le festival actOral.8 était présenté du 28/09 au 10/10 à Montévidéo et dans d’autres lieux de la ville