Marseille, An 3013 (éd. Gaussen, Melmac Collection)
FuturaMars
À quoi ressemblera la cité phocéenne dans un millénaire ? Treize auteurs amoureux de la ville se sont penchés sur la question pour nous offrir un recueil de nouvelles savoureux, bien nommé Marseille, An 3013.
La science-fiction, quel vaste monde ! Des sorciers aux extraterrestres, en passant par les planètes lointaines colonisées, l’univers des auteurs de science-fiction semble sans limites, et les sous-genres sont légion (heroic fantasy, steampunk, anticipation, space…). Nul besoin d’être un expert en physique quantique pour nous faire rêver… ou cauchemarder. Dans le langage courant, n’utilise-t-on pas d’ailleurs cette expression pour qualifier ce que l’on ne croit pas véridique ? Imaginer Marseille en 3013 relève donc bien de la science-fiction.
Comme l’explique Stéphane Sarpaux, directeur de l’association Marseille 3013, la cité phocéenne réunit un grand nombre de particularités qui permettent déjà d’imaginer ce qu’elle pourrait être de manière réaliste dans un avenir proche. Urbanistes, journalistes et politiciens s’y sont déjà collés. Par contre, projeter la Bonne Mère juchée au pied de son Vieux Port dans mille ans est une autre histoire.
Comme il faut souvent partir du passé pour penser le futur, tout a commencé en 2016 avec des posters affichés par vingt artistes, rue de la République, imaginant Marseille au prochain millénaire (Next City). En 2018, une étape supplémentaire est franchie : les mots complètent les images. Pourquoi ne pas écrire pour raconter le(s) Marseille de 3013 ? L’idée « fait marrer » Patrick Coulomb, auteur et éditeur marseillais, qui n’hésite pas à enfiler la casquette de coordinateur éditorial. Ne manque plus que la confiance d’une maison d’édition locale pour concrétiser l’idée. C’est là qu’entrent en piste les éditions Gaussen, partenaire de longue date de Patrick, qui suggèrent de proposer à treize auteurs d’imaginer cet avenir lointain à leur sauce et sous forme de nouvelles. Charge à Stéphane d’organiser la levée de fonds et, histoire de s’impliquer un peu plus, de faire partie de la cohorte de nouvellistes. Marseille, An 3013 est né.
La ville traîne une certaine réputation d’immobilisme lorsque les enjeux ne sont pas assez grands (d’où, inversement, le coup d’accélérateur aux travaux du Vieux Port avec la perspective de la Capitale européenne de la Culture en 2013) ou lorsque la puissance publique locale se montre lente ou impossible à convaincre de changer d’opinion (le parking souterrain du Palais Longchamp, la réhabilitation de la Plaine…).
Il faut donc du temps pour que les citoyens arrivent à prendre le pouvoir à Marseille. Mille ans semblent suffisants. « Et l’on n’a plus à se poser la question du comment car le risque de manquer de crédibilité disparaît », explique Stéphane. La diversité des futurs imaginés par les treize auteurs témoigne de leur attachement à la cité phocéenne et du fait qu’ici ne sera décidément jamais comme ailleurs.
En 3013, nombre sont ceux qui, logiquement, projettent les dangers bien réels qui nous guettent d’ici une trentaine d’années, à savoir la montée des eaux et le réchauffement de la planète. Marseille se retrouve ainsi sous les eaux, à remonter du cuivre dans ses filets de pêche (MarsAigues sur cuivre), à boire un verre dans un radeau-bar avec une extra-terrestre gardienne du temps qui trouve que « les Terriens sont les formes de vie les plus cons de l’univers. » (Glissement de Temps sur Mars)
L’amour des auteurs pour « leur » ville, parfois mêlé de désespérance, ne se trouve cependant pas dans la projection d’un contexte global connu, mais dans la préservation de ses spécificités bien longtemps après. Entre un Philippe Carrese qui égrène les noms de presque tous les quartiers marseillais aux mains de chefs de bande bien inquiétants, tel le maître des geôles de la Timone (Le Grand Pistachié), un Henri-Frédéric Blanc dont le héros Fifi Gandolfi rend hommage à la tchatche marseillaise (3013, Marseille encule l’Univers) et un rappel de figures pagnolesques avec Sigolène Vinson (L’œuf), l’attachant pittoresque est à l’honneur. La famille reste aussi une valeur sûre : c’est pour elle que l’on est prêt à prendre des risques pour remonter des bijoux de cavités sous-marines cachées (Un vestige parmi d’autres) ou décider de mourir à cent ans pour sauver la mère d’un enfant des Quartiers Nord alors que l’on a encore du temps devant soi (Échange). Quitte à dire que les particularités marseillaises pourraient même en faire sa richesse, il n’y a qu’un pas, que franchit Stéphane Sarpaux en imaginant le pastis remplacer le pétrole, permettant ainsi à la mairie d’acheter toutes les plus grandes équipes de football (Le Pétro-Pastis).
Que l’on aime ou que l’on déteste Marseille (voire les deux à la fois !), on ne peut y rester insensible. La ville nous marque et l’on y retourne dès que l’on peut. Même dépendant d’un programme, qui identifie tous nos besoins et y propose des solutions adaptées, nous aurions par exemple spontanément envie de revenir dans la cité phocéenne en dépit des propositions informatiques contraires (Le Principe du Palindrome). Et partir sur la Lune ne nous ferait pas véritablement voir autre chose que ce que l’on a sous les yeux. Alors autant rester ici si l’on en croit l’un des protagonistes de All inclusive Mare Tranquilitatis. D’ailleurs, quand bien même il faudrait partir pour une autre planète, il resterait toujours une poignée d’irréductibles pour y rester coûte que coûte tels les Fous d’Endoume de Massilia Proxima. De toute façon, une tentative de sortie pourrait tout simplement être punie de mort (Cagole d’Azur).
Au final, après les désordres climatiques, le chaos généralisé, l’embarquement sur des vaisseaux spatiaux, les archéologues qui réaliseront des fouilles ne retrouveront peut-être que la nouvelle d’Olivier Boura, La Tombe Gaussen, pensant pouvoir reconstituer l’histoire de Marseille avec cette découverte.
Guillaume Arias
Marseille, An 3013 (éd. Gaussen, Melmac Collection) : dans les bacs à partir du 20/09