Le festival La Photographie Marseille
Photo-Génie
Depuis désormais huit ans, la mairie Maison Blanche révèle — et réveille ! — la photographie contemporaine à Marseille. Elle fait partie des 25 lieux du festival La Photographie Marseille, un parcours culturel de haute volée rassemblant, chaque année, un public de plus en plus curieux et diversifié. Le Prix Maison Blanche, qui inaugure l’édition 2018 du festival, est une cohabitation artistique entre cinq photographes du monde entier (Brésil, Colombie, Asie…). Ces lauréats essaiment, ça et là, plusieurs nuances de lumière tout en conservant une part savoureuse de mystère. Immersion.
« Vous trouverez les photos dans le couloir principal, mais aussi en salles de mariages et de Pacs. » Le Secrétariat de la mairie Maison Blanche donne le ton. Cette fois-ci pourtant, l’engagement est différent : il est purement artistique, s’étale pour mieux faire le beau, se niche dans les recoins de locaux municipaux. Incarnant le Prix Maison Blanche 2018, cinq lauréats inaugurent le festival La Photographie Marseille en nous confiant les ficelles de leur identité. Ici, la déambulation se découpe en trois volets.
Premier volet. Avec Espinha, le Brésilien Shinji Nagabe fait le grand écart entre figuration et fulguration. Chacun de ses protagonistes détourne, à sa façon, l’environnement qui l’entoure : à commencer par la naïade « à la tête de fleur »… S’échappant de l’eau et de ses flots, son corps devient étrangement secondaire puisque l’entièreté de son visage a été remplacée par des pétales flamboyants de couleur. Même artifice fantaisiste pour cet enfant enfoui sous une masse de ballons gonflables et qui toise, sans qu’on ne s’en doute, sa banlieue miséreuse depuis son « rooftop » de fortune. Ainsi harnaché, sera-t-il fin prêt à décoller de cette existence aléatoire ? Il y a l’envol et puis l’espoir. Qu’en est-il du jeune modèle dont le faciès est étouffé par un filet rose vif ? Est-il seul responsable de son enfermement ? Est-il conscient que le « vivre caché » est souvent aussi nécessaire que divertissant ? Rien n’est alors plus ambivalent que ce petit être mi-coquet, mi-bouleversant. Coiffés, masqués, accessoirisés et toujours travestis, les personnages shootés ici semblent reverdis, ragaillardis par un élan de vie. De ces paysages désertés, vétustes voire dévastés, il ne faut retenir que le sujet principal ; celui qui, dans cette mise en avant, se joue de sa réalité. Celui qui, en front row face à l’objectif, renaît de ses cendres pour enfin briller. L’humain n’est pas seul à servir de sève et d’énergie : la nature — qu’il s’agisse d’un arbre fier ou d’un panier de citrons verts — se voit, elle aussi, déguisée. En témoignent ce tronc recouvert d’une cape indécemment dorée et ce citron esseulé — mais joliment dentelé — qui « tranche » ainsi avec la normalité.
Deuxième volet. En proposant un flou noir et blanc délibérément angoissant, Alexandre Dupeyron nous confronte à l’Homo Urbanus (l’homme urbain) que nous sommes devenus, sans bonus aucun. Ses Runners of the future nous prouvent que modernité et vélocité vont de pair, sacrifiant toute forme de spontanéité, légitimant le flou face à la netteté. La vie va si vite qu’on ne sait plus la discerner. Cette robotisation de l’humanité ici symbolisée vient contraster avec l’impériale nature d’Andres Donadio (Niebla: visiones del salto). Cette légende colombienne est une épopée géographique aussi grandiose qu’inaccessible : la nature, tantôt brumeuse, tantôt verdoyante, est d’une intensité rarement sans conséquences. Elle exerce même une forme de suprématie sur ses explorateurs et visiteurs. Comme un affrontement entre l’homme et la terre, comme un bouillonnement perceptible dans l’atmosphère.
Troisième volet. « La résignation est un suicide quotidien », disait Balzac. Jean-Claude Delalande semble s’être subtilement approprié la formule avec une série de clichés qui fait l’éloge du train-train à défaut de l’entrain. Son Quotidien est sans nuance : immobile et plein d’absence. Jouant avec la configuration familiale (duo de baigneurs pavillonnaires, balade dominicale avec poussette intégrée, morne combat sexué entre Dame lecture et Monsieur fer à repasser…), le photographe enveloppe ses « poseurs endimanchés » d’un voile d’apathie et de désintérêt. Comme si chaque situation de vie ne suffisait plus à les ravir, comme si chaque activité ne combattait pas l’inertie à venir. Enfin, d’indifférence en désaffection, le travail de Samir Tlatli (Préfecture) est une évocation subtile du vide et de la matérialisation des émotions. Cette pancarte tombée à même la moquette grisâtre, la chaise-rempart bloquant toute forme d’accès, ces jambes musclées s’échappant d’une embrasure de porte dans un couloir désaffecté, ces mains ensoleillées que l’on meurt d’envie de palper… Tout est à projeter, à imaginer : de l’animosité à l’accouplement, de la chorégraphie au recueillement, la vie est passée par ici et ces reliques matérielles en sont l’allégorie.
Cette exposition collective est un avant-goût prometteur. En ouvrant ses bras à la photographie contemporaine, la Maison Blanche nous ravit et met de l’intelligence sur ses murs immaculés : dissimulations et petits riens, errements et sacrements, immensité et urbanité… Ainsi font, font, font… les artistes engagés.
Pauline Puaux
La Photographie Marseille : jusqu’au 26/01 à Marseille. Rens. : www.laphotographie-marseille.com
Prix Maison Blanche 2018 : jusqu’au 9/11 à la Maison Blanche (150 avenue Paul Claudel, 9e). Rens. : www.marseille9-10.fr
Le programme complet du festival La Photographie Marseille ici