La tragédie humaine

La tragédie humaine

En point d’orgue d’un travail ayant débuté avec Weimar En Exil (parallèle cinématographique Sirk/Fassbinder), le directeur du Miroir Philippe Bérard offre aujourd’hui la fantastique possibilité de (re)découvrir un pan immense… (lire la suite)

En point d’orgue d’un travail ayant débuté avec Weimar En Exil (parallèle cinématographique Sirk/Fassbinder), le directeur du Miroir Philippe Bérard offre aujourd’hui la fantastique possibilité de (re)découvrir un pan immense (qualitativement et quantitativement) de l’œuvre d’un cinéaste inépuisable : l’Allemand Rainer Werner Fassbinder. Plus d’une quinzaine de films qui rendent compte du travail d’orfèvre exécuté par ce grand amateur de la nature humaine emportée dans le tumulte de l’Histoire.

Rainer Werner Fassbinder, artiste boulimique, artiste tactile, cinéaste des corps. Ciné-radiologue de l’âme humaine trimbalant son objectif de peau en peau, toutes échelles thermiques confondues, des plus froides aux plus brûlantes. Combien de femmes, chez Fassbinder. Combien de faux hommes. Et combien l’Histoire est venue gonfler les rives de ses intrigues. Le cinéma du réalisateur allemand ne se pose jamais, suspendu dans une perpétuelle expérimentation, maître-mot de son œuvre. Au service d’une comédie humaine dont il fixe les balbutiements à l’aube de l’Allemagne d’après-guerre (seconde, s’entend), devenant ainsi l’un des plus fins observateurs d’une construction européenne étalée sur toute la seconde moitié du 20e siècle. Une peinture kaléidoscopique dans laquelle les laissés pour compte de cette société sont ceux-là mêmes qui la construisent. Touche-à-tout avide de travail (théâtre, cinéma, télévision), Fassbinder est le cinéaste de l’amour. Des amours. Vaines, folles, inespérées, désespérées, ardentes, où les femmes échangent les rôles, où les hommes dérangent les codes. Il filme le désir comme personne. Ou comme personne ne le désire. En son cadre, la moindre histoire d’amour est politique. Et la femme gouverne. On a parfois dit que le cinéma de Fassbinder était contenu dans sa « trilogie allemande » (Le mariage de Maria Braun / Le secret de Veronika Voss / Lola). Si la remarque est infiniment réductrice, il n’empêche que ce triptyque charrie sur son sillon les thèmes les plus chers du réalisateur allemand. Chaque personnage est non seulement le bâtisseur de sa propre destinée autant que celle de la société qui l’entoure. Les mots de Maria résonnent encore : « Moi, je préfère faire les miracles plutôt que de les attendre. » Mais malgré ses récurrences, le cinéma de Fassbinder s’étend tellement aux confins de l’âme humaine qu’il est impossible d’en résumer l’ampleur. Comme un peintre, son œuvre avance par touches, film après film, pièce après pièce, n’hésitant jamais à se vautrer dans le mensonge et la trahison, fût-elle sentimentale. Car il est aussi un artiste impitoyable, un homme implacable conduit par sa seule lucidité. Plus qu’un bâtisseur d’une nouvelle cinématographie allemande d’après-guerre — rôle bien trop restrictif dans lequel la cinéphilie l’a souvent cantonné —, Rainer Werner Fassbinder apparaît plus distinctement encore aujourd’hui comme l’un des grands artistes du siècle dernier.

Sellan