Winnipeg mon amour – (Canada – 1h19) de Guy Maddin avec Darcy Fehr, Ann Savage…
Vertige de l’amour
Les premiers sentiments qui surgissent à la vision de Winnipeg, mon amour s’apparentent à ceux que l’on a pu éprouver à la découverte de Citizen Kane (Orson Welles), Eraserhead (Lynch) ou encore Europa (Lars Von Triers) : densité, confusion, perte d’équilibre. En un mot : vertige, l’un des piliers de ce documentaire autobiographique. Le spectateur, frontalement, plastiquement malmené par le réalisateur, vacille et tangue dans ces images hermétiques, dans cet espace clos. Espace rendu d’autant plus impénétrable, et ce malgré de nombreuses digressions lumineuses, que Maddin ne parvient pas lui-même à s’extirper de ses souvenirs qui oscillent entre nostalgie et cauchemar. La voix de l’enfant ne résonne pas bien ; on la cherche à travers des photos, une (re)mise en scène du passé. Mais ce qui demeure, c’est toujours l’impact de la mort, celle des proches, celle des monuments, des symboles gigantesques. Sans jamais pouvoir rien y changer ni quitter ce qui nous a immanquablement façonné. Car c’est de cela aussi dont parle Guy Maddin : le déterminisme, l’impossible liberté d’exister par soi-même. Il constate qu’aussi loin qu’il puisse fuir de Winnipeg, il restera invariablement la somme imparfaite et fragile de sa ville natale. Il continuera d’être sa famille, d’être l’histoire de cette cité canadienne. Avec ce film étrange, inclassable, Maddin franchit un nouveau palier dans sa riche carrière d’auteur. Si les procédés utilisés (image format de poche, noir et blanc…) n’ont rien de neuf, la narration (texte écrit et lu par Maddin lui-même) amène cet incroyable univers baroque à flirter avec l’intime. La « défictionnalisation » du propos dote ainsi Winnipeg, mon amour d’une vérité à la fois personnelle et universelle. Une vérité somme toute complexe mais, vu le résultat, qui s’en plaindrait ?
Lionel Vicari