Basso Ostinato, présenté aux Bernardines
Les corps impatients
A mi-parcours de la programmation de Dansem, la diversité des propositions engage un dialogue entre les différents points de vue et des questions sur le devenir de la danse. En point d’orgue, Basso Ostinato de Caterina Sagna a répondu à la longue attente d’un public sous le charme.
Dansem n’a pas son pareil pour nous dérouter dans notre image de la danse et ce que l’on en attend. Avec le programme « Questions de danse », les jeunes chorégraphes de plusieurs pays mettent à nu l’expression de leur désir. A commencer par la Suissesse Jessica Huber, qui nous parle de la neutralité de son pays en utilisant l’ironie des dialogues et des postures. On comprend très vite que ne pas prendre parti est une manière de tenir secrètes nos contradictions. Les danseurs s’engagent dans un jeu de réparties où la question de la responsabilité interpelle le public et emmène la danse sur le front du théâtre. Avec Jack in the box, Hélène Iratchet retourne à l’origine du geste et travaille sur la délicatesse du touché et de l’infiniment petit, de ce qui est presque imperceptible. Dans le silence, l’attention du public se rapproche indéfiniment de la scène et crée un entre-deux où l’espace du vide devient la première des qualités. Chez Meryem Jazouli, c’est le deuil qui accapare les pensées de l’artiste. Le corps remonte le temps des souvenirs et devient habité par une force et une puissance qui dépassent l’entendement. En échappant au commun des mortels, la danse retourne à l’état de rituel et nous interroge sérieusement sur la place de la religion et des croyances dans le monde d’aujourd’hui.
Venons-en au moment très attendu de cette programmation : la présence de Caterina Sagna avec une création de 2006, Basso Ostinato. Deux hommes se racontent des anecdotes en buvant jusqu’à plus soif. Lentement, l’ordre du discours devient chaotique, croisant le présent et le passé, poussant le corps vers des rictus et des attitudes de démesure. Le synopsis part à la rencontre de combinaisons aléatoires ; le schéma de déperdition convoque le deuil en traçant des diagonales noires, à la manière d’un tableau de François Morelet. Plus le corps s’enfonce, plus il se pare de ses plus beaux vêtements, de ses plus beaux atouts. Le geste emboîte le pas de son voisin, la marche avant et la marche arrière ne font plus qu’une, la déconstruction nous emmène dans notre propre intimité, comme si nous avions rêvé ce qui se déroule sous nos yeux. Les corps nous appartiennent, décadents et touchants parce que si proches de nous. La puissance de Basso Otinato réside dans cet abandon de la rigidité, dans le délire des attouchements, la présence de l’étranger (le troisième homme). Rien ne manque, parce que les combinaisons se répètent dans un léger décalage jusqu’à ce que le souffle et l’histoire n’aient plus la force de retrouver le langage. De l’art conceptuel au langage du cinéma, de la dodécaphonie au lyrisme de la folie, Basso Ostinato est une œuvre totale et singulière.
Texte : Karim Grandi-Baupain
Photo : Jublin
Le programme « Questions de danse » était présenté aux Bernardines du 27/10 au 7/11.
Basso Ostinato était présenté aux Bernardines les 18 & 19/11.
Dansem se poursuit jusqu’au 11/12 dans divers lieux de la ville.
Rens. 04 91 55 68 06 / www.dansem.org