Identité remarquable | Julie De Muer, bateau phare
Liane discrète et solaire, aussi pertinente que sensible, Julie De Muer n’est pas qu’un nom qu’on retrouve au détour de tous les projets qui nous parlent d’écologie urbaine et de lien territorial : depuis dix ans, elle est ce mycélium hyper actif et nutritif qui relie presque tous les acteurs foulant les zones à défricher et autres marcheurs curieux.
Incroyable parcours que celui de cette marcheuse invétérée : de terre normande, diplôme de sciences sociales en poche, elle se biberonne à la culture de squat, aux espaces communs et ouverts, et bascule très vite à Paris dans le monde de la musique électronique, où elle se lance dans l’aventure de la Guinguette Pirate, puis du Batofar, hauts lieux festifs parisiens des années 90/2000. Mais, refusant l’instrumentalisation voulue par les pouvoirs publics autour d’un projet urbain sur zone franche qui ne lui convenait guère, elle quitte ce navire-là et amerrit à Marseille il y a quinze ans, dans le quartier de Saint-Antoine (13015), pas vraiment loin de la ville, mais séduite par la dimension populaire de ce quartier et par l’idée d’un bout de nature pas loin. Elle prend la direction de Radio Grenouille pendant quelques années puis, à l’approche de sa quarantaine, ressent le besoin de faire le point. Que faire ? Un voyage, peut-être ? Oui, un voyage ! Mais pas à l’autre bout du monde, quoique… Elle se fait déposer à La Penne-sur-Huveaune, devant le panneau limitrophe d’entrée de Marseille et donc devant l’usine Seveso à la Barasse, et décide de regagner son chez-elle… en dix jours et à pied ! Elle dort chez les gens qu’elle rencontre, cherche des cartes postales à envoyer à son fils dans ces quartiers éloignés du tourisme officiel, et en fait l’occasion pour rencontrer, échanger, enregistrer ceux qu’elle croise sur sa route. Ce n’est pas sans émotion qu’elle se souvient : « C’est comme si tout ce que j’avais appris s’incorporait. » Mise le pied à l’étrier par Christine Breton — autre personnage clé de la transformation du regard posé par les institutions et le public sur les quartiers nord, puisqu’elle est la conservatrice du patrimoine qui a instigué notamment la convention de Faro dans le 15/16 et initié la coopérative d’habitants Hôtel du Nord —, Julie, de retour sur la place en 2009, propose alors des balades pour les Journées Européennes du Patrimoine. « Et là, tout devient potentiellement intéressant, que cela soit accueillant ou pas », se réjouit-elle au présent. Elle nous dit que « la marche [l]’a transformée, a rendu [sa] sensibilité à l’environnement plus grande, [lui] a permis de prendre de l’air par rapport à la scène artistique pour mieux la retrouver et s’intéresser à celle qui est liée au contexte, [lui] a fait relier des sociologies, entre amateurs et professionnels, et surtout comprendre à quel point les problématiques environnementales et sociales ne s’opposent pas. »
Passionnée de rencontres, de faire et d’écriture, elle crée avec une cinquantaine d’artistes les Promenades sonores en 2013, pour une autre découverte de la métropole (toujours disponibles en podcast sur radiogrenouille.org), se lance dans l’aventure du GR2013 et, surtout, dans sa poursuite au long cours, puisqu’elle est aujourd’hui principale productrice du Bureau des Guides, ces artistes-marcheurs qui emmènent régulièrement qui souhaite dans des sentiers plus qu’improbables et inédits.
Elle s’implique partout, tout le temps : par son activité professionnelle bien sûr, mais aussi à ses heures jamais perdues, en veillant sur « le Pacte de Foresta » et sa relation au territoire, et avec l’Hôtel du Nord qui, par la dimension bénévole, lui permet de s’impliquer plus personnellement, en animant une balade, une conversation, « en transformant ce qui a l’air pourri et en se laissant toucher par ce qui n’a a priori pas de valeur, en faisant d’une expérience collective de la connaissance, en fabriquant de l’attachement, de la beauté, et donc une nouvelle valeur symbolique. » Ces voisins de l’Hôtel du Nord, dont elle fait pleinement partie, autoproclamés Mille Pattes, elle les appelle gentiment « les composteurs », revendiquant la mobilité, clamant qu’ils ne seront jamais des jardiniers. Puis de reprendre : « C’est un peu comme se construire une nouvelle carte postale, en explorant son voisinage, et se dire : qu’est ce que j’y mettrai, qu’est ce qu’on y mettrait maintenant ? » Alors peu importe le média. Peu importe le lieu. Elle s’évade encore, nous parle de ses autres terrains de jeux : le Ruisseau des Aygalades où elle veut « tricoter du social, de l’environnemental et de la joie », l’Étang de Berre pour une exploration qui ne fait que commencer et à l’horizon 2020…
C’est un peu comme une méthodologie de la marche et de l’écologie urbaine qu’elle invente, même si celle-ci est organique : « Trouver des situations pour donner une forme à la conversation entre le paysage, l’artiste, le sociologue, l’urbain, le sauvage. »
Un seul mantra pour cette amazone aimante : « Quand on partage et qu’on renouvelle nos récits, on renouvelle nos imaginaires, et on réinvente. »
Joanna Selvides
Rens. : http://hoteldunord.coop
www.gr2013.fr
www.facebook.com/undimancheauxaygalades/