Actuellement, trois services peuvent intervenir suite à un signalement d’immeuble indigne, en fonction de la nature et de l’urgence du problème.

Le service municipal en charge des immeubles en péril est au bord de l’implosion

En charge des arrêtés de péril permettant d’évacuer les immeubles dangereux, le service de prévention et de gestion des risques est au bord de l’implosion. Malgré les renforts engagés par la mairie, les arrêts de travail se multiplient et les principaux cadres sont partis.

 

Depuis des mois, ils sont au cœur de la tempête de l’habitat indigne. Depuis novembre, cette « épidémie » d’arrêtés de péril grave et imminent a mis plus de 2 500 personnes hors de chez elles, abritées pour beaucoup dans des hôtels. Du matin au soir, parfois très tard, les fonctionnaires du service de prévention et gestion des risques répondent aux signalements, inspectent les immeubles, préviennent les habitants, mandatent des experts et rédigent les arrêtés. Souvent montrés du doigt comme on fixe le thermomètre en cas de grosse chaleur. Et ils craquent.

Selon plusieurs sources, les arrêts de travail se multiplient dans ce service. Cela concerne notamment l’ensemble de ses cadres. Le chef de service, Christophe Suanez, n’a plus réapparu depuis plusieurs semaines. Son adjointe et plusieurs cadres de divisions qui gèrent les immeubles en situation de péril non plus. Ils sont quatre cadres à avoir quitté le service pour des arrêts maladie et des accidents du travail.

La dernière cadre a avoir jeté l’éponge est une architecte contractuelle dans le service depuis deux ans. Elle était la cadre plus expérimentée dans la division en charge des immeubles en péril. Une situation qui lui aurait fait peser une charge anormale sur les épaules.

 

Situations de burn out

D’autres sont en situation avérée de burn out. L’avalanche de travail n’est pas tout. S’y ajoute le risque pénal encouru par certains du fait de l’information judiciaire ouverte au lendemain de l’effondrement des immeubles, et notamment la réintégration des habitants du 65 rue d’Aubagne quelques jours avant les effondrements. Des perquisitions et des auditions ont déjà eu lieu.

Pour faire face à cette situation de tension, la Ville a tenté de renforcer le service dès novembre. « Des agents ont été détachés d’autres services pour faire face au surcroît d’activité mais cela n’est pas suffisant, décrit Pascale Longhi, secrétaire générale du syndicat CFE-CGC. De plus, c’est un métier technique qui demande un bagage important et de l’expérience. La Ville a passé un marché pour réaliser les expertises des bâtiments mais celui-ci n’est pas suffisant. »

De jeunes architectes ont été embauchés en janvier pour renforcer le service, mais ils n’ont pas forcément l’expérience requise et l’absence de cadres empêche la transmission d’un savoir partagé à l’intérieur du service. D’autres recrutements externes sont en cours, notamment d’ingénieurs spécialisés dans les structures du bâtiment. Mais, malgré la bonne volonté des nouvelles recrues et le volontarisme des anciens, la désorganisation en cours affecte les missions que ce service est censé remplir au quotidien. Pour l’essentiel, il s’agit ainsi de répondre aux signalements d’habitants, mais aussi de propriétaires et de syndics qui constatent des problèmes de sécurité de leurs logis.

 

Une centaine de signalements en carafe

Selon nos informations, plus d’une centaine de signalements n’auraient pas eu de suite. Cela concerne également des arrêtés de péril simple, qui n’appellent pas une évacuation immédiate des habitants mais nécessitent des travaux. Le service aurait cessé d’en produire face à l’avalanche des arrêtés de péril, graves et imminents, forcément plus urgents.

« Mais un arrêté de péril simple, s’il n’est pas traité par des travaux, peut finir par déboucher sur un péril grave et imminent », constate Patrick Rué, secrétaire général de Force Ouvrière, également saisi de l’état désastreux du service par des agents désemparés.

Du côté de l’administration, on reconnaît le problème d’épuisement et de cadres absents, en écartant toute notion de dysfonctionnements. « Ce sont des gens qui ont été sur le pont pendant des mois, sans compter leurs heures, en essuyant parfois des critiques injustifiées, explique-t-on à la Ville. Les agents en arrêts sont en cours de remplacement, il n’y a pas là de dysfonctionnements. C’est la vie normale d’une entreprise de la taille de la Ville de Marseille qui compte 12 000 agents et doit faire face, dans le cas précis, à un événement considérable. »

 

Actuellement, trois services peuvent intervenir suite à un signalement d’immeuble indigne, en fonction de la nature et de l’urgence du problème.

 

Réorganisation des services

Cette situation de surchauffe intervient au lendemain d’un vote en conseil municipal d’une délibération cadre qui propose une réorganisation des services. Elle redistribue les missions de plusieurs grandes directions générales de la Ville, et notamment les deux services qui traitent les signalements d’habitat indigne, qu’il soit insalubre (lire notre article) ou en péril. L’hygiène publique dans l’habitat, jusque-là rattaché au service de santé publique, doit rejoindre le service en charge du péril dans une seule et même direction.

Et ce avant la mise en place d’un service mutualisé avec la métropole. À l’heure actuelle, la Ville est la garante du respect de la loi, sur la base des signalements, via des arrêtés, mises en demeure, travaux d’office… Quant à la métropole, elle est en charge de l’intervention d’ensemble sur l’habitat dégradé, via des subventions ou des rachats d’immeubles (voir la carte de la dernière vague). Il s’agirait de confier à l’échelon métropolitain le pilotage de l’ensemble de la chaîne. Or, selon nos informations, cette fusion attendue est loin d’être avérée.

« Cela pose des problèmes dès maintenant puisque la Ville est censée devoir vérifier l’état de salubrité des logements avant que les familles délogées retournent habiter sur place après la levée du péril imminent, insiste Florent Houdmon, délégué régional de la fondation Abbé Pierre. D’autre part, la métropole devait mettre en place un vrai service dévolu à l’habitat indigne, avec du recrutement qui chapeauterait les deux services en charge des signalements. Or, pour l’instant, il n’en est pas question. »

 

Avis de fusion différé

Dans les couloirs de la métropole, on confirme l’absence momentanée de pilote dans l’avion et la panne en cours dans l’opération de fusion. Pourtant, en janvier dernier, dans un courrier dont La Marseillaise avait révélé la teneur, Domnin Rauscher, directeur général des services de la métropole, décrivait la feuille de route de la politique de lutte contre l’habitat indigne de son institution par le menu, avec notamment un service renforcé en charge du traitement des signalements. Cela passait par la mise en place rapide d’un service mutualisé, chapeauté par la métropole. Ce service fusionné devait être mis en place au printemps. Les fleurs bourgeonnent et ce n’est toujours pas le cas.

La fusion annoncée est bien indiquée en toutes lettres dans la délibération adoptée au conseil municipal du 1er avril, mais celle-ci est soumise à l’adoption d’une « convention de mutualisation » comme le précise le texte de la délibération.

Cette direction fera l’objet d’une mutualisation avec la métropole Aix-Marseille Provence, pour devenir une direction mutualisée, dans le cadre d’une convention de mutualisation dont l’élaboration sera suivie par la Direction Générale Adjointe Ville Durable et Expansion. Cette convention sera évidemment soumise à l’approbation du conseil municipal.

Pour l’administration municipale, cette mutualisation « suit son cours ». Mais personne n’a vu la couleur de ladite convention. Or, cette mutualisation fait partie de l’accélération souhaitée par la métropole et validée par l’État, au lendemain des effondrements. « Je compte interpeller le ministre du logement, Julien Denormandie, ce vendredi, prévient Florent Houdmon. Pour nous, la crise que connaît Marseille est loin d’être terminée. Or, le premier critère est de pouvoir traiter les signalements, suivre les travaux demandés et réaliser les travaux d’office si les propriétaires ne sont pas en capacité de les faire. » Pour l’instant, c’est encore la désorganisation et l’épuisement qui dominent.

 

Benoît Gilles