Le Couvent Levat © Damien Boeuf
Le Couvent Levat © Damien Boeuf

Le Couvent Levat, saison 2

Le Couvent se lève

 

L’été pointe (enfin) le bout de son nez, faisant émerger avec lui un projet humain et culturel des plus juteux. Qu’on se le dise, la Belle de Mai « couve » quelque chose de joliment fiévreux qui rassemble déjà un public nombreux. En plein cœur du quartier, dans les entrailles aérées du Couvent Levat, l’association Atelier Juxtapoz suggère aux curieux et voisins de redonner collectivement vie à ce lieu hors du commun… Une expérience à vivre sans occulter de se faire du bien.

 

Une fois franchie la lourde porte d’entrée du Couvent Levat, c’est un sentiment tout puissant d’apaisement et de déconnexion accélérée qui s’empare de ceux venus s’y aventurer. Seul l’écrasement continu des graviers sous les souliers se détache de cette surprenante accalmie. À l’ombre des figuiers, de robustes bancs boisés s’acoquinent avec des fanions immaculés et des coussins bariolés. Le ton décontracté est donné.

Mais qu’y trouve-t-on si ce n’est l’évasion et la liberté ? Une question à laquelle l’Atelier Juxtapoz répond aujourd’hui par le succès. Constituée de quatre membres soudés — trois administratifs et un jardinier — l’association a, depuis le départ, une démarche bien ciblée : occuper temporairement des lieux vides ou désertés pour que les artistes en fassent leur propre cité. Ici, au Couvent Levat, le territoire investi offre une superbe variété : une ancienne chapelle dans son jus, une salle polyvalente accueillante, un jardin plein d’audace, d’irrégularité et de poésie, des potagers collectifs qui réunissent de jour comme de nuit… Tout au long de l’année, visiteurs, habitants du quartier ou encore jeunes demandeurs d’asile ont un accès illimité à cet Eden urbain achalandé, jusqu’aux parcelles d’un vaste potager (1 500 mètres carrés) qu’ils viennent quotidiennement enrichir et semer. Si cette cité d’artistes fortifiée par Juxtapoz encourage l’exercice de multiples disciplines (théâtre, photographie, musique, artisanat, installations plastiques…), il n’a pas été aisé pour l’association d’immédiatement « copiner » avec le voisinage concerné. Sans jamais se trahir ou mésinterpréter, l’équipe en place a dû écouter les besoins concrets du public environnant et communiquer intelligemment. Résultat : un credo culturel respecté grâce à leur nécessaire travail de proximité.

Pour cette deuxième édition — l’association avait mis en place une première exposition, Émancipation, sous forme de « verte » déambulation l’été dernier —, l’association juxtap’ose les bonnes idées en offrant un éventail complet de plaisirs épicuriens et d’activités. La programmation est élargie et promet de twister un secteur peu habitué aux festivités (exception faite de la Friche). Tous les jeudis soirs, des apéros pétanque (notons que le terrain est très rapidement convoité !) sous le signe du hip-hop et de la funk déchainent une assemblée toujours plus ouverte et décomplexée. Les week-ends, eux, offrent autant de Dj sets lascifs que de bals impudiques, de spectacles de cirque ou de cinéma plein air thématique… Toujours, la recherche d’une matière fouillée et attrayante vient marquer les rendez-vous pour mieux répondre à nos attentes. En témoignent la pelletée de collaborations et de rencontres qui vont aussi ponctuer cet été brûlant : conférences sur l’art urbain, le street art et les institutions, soirées organisées par les collectifs Twerkistan et Maraboutage, troisème édition du Feministival, salon d’art contemporain Art-o-Rama, journées portes ouvertes et visites sacrées en clôture de saison (le 15 septembre)… Partage, échange et libre accès n’ont jamais aussi bien fusionné.

Quid des nouveautés ? Si la buvette — d’ailleurs designée de façon extrêmement originale par le collectif local Les Marsiens — fête sa seconde année, elle permet des levers de coude d’une plus précise qualité avec ses bières IPA (6 euros) ou encore sa cuvée naturelle, que l’on aime autant en blanc qu’en rosé (13 euros la bouteille). Mais c’est côté graille que la (bonne) surprise est totale. Aux fourneaux pour nous régaler sans discontinuer ? La brigade A.L.F (Alimentation Locale et Fine) qui, en direct d’une guinguette taguée de main de maître, concocte une petite restauration relevée de délice et comme fondue dans la malice. Pour mieux s’imprégner de la créativité non chichiteuse des assiettées : frites fraîches (devenues incontournables !) et mayonnaise épicée aux piments chipotle (3,50 euros), beignets de sardines à l’encre de seiche, pâte de citron rôti et poivrons Piquillos (6,50 euros), travers de porc laqués, sauce tigre (7,50 euros). Chaque proposition, bien fidèle à son appellation, est à bâfrer sans modération…

Comme pour parfaire cette volonté globale d’amélioration, comme pour mieux jouir d’une sobriété heureuse tout au long de la saison, comme pour honorer cet imposant couvent presque niché dans le grondement de sa cité, l’association Atelier Juxtapoz n’a pas lésiné sur l’effort et la générosité. Le doux labeur d’une équipée qui jongle entre différentes compétences, qu’il s’agisse de nous distraire, nous amuser, nous stupéfaire ou nous sustenter. À plus long terme, le topo reste le même : développer des projets de cœur émancipatoires, défricher de nouveaux territoires et toujours garder cette bonne dose d’altruisme et d’espoir. La vie culturelle, sous toutes ses formes, est une plénitude qui ne doit manquer ni de réinvention, ni d’accessibilité. Le vent se lève enfin dans ce havre de paix. Nul doute qu’il va bien tourner.

 

Pauline Puaux

 

Le Couvent Levat : 52, rue Levat, 3e. Du mercredi au dimanche de 12h à 22h (jusqu’à 23 h les vendredis soirs).

Rens. : www.atelier-juxtapoz.fr