Le Théâtre du Centaure
Le palais idéal au facteur cheval
En 2015, après onze années de tractations avec la municipalité, Camille & Manolo, les fameux Centaures qu’il n’est plus besoin de présenter, s’installent dans les hauts de Mazargues, dans ce 9e arrondissement qui leur était inconnu. Certes, la route depuis la Campagne Pastré n’était pas longue et pourtant, il fallait bien faire son nid. Et aujourd’hui, qu’y fait-on et qu’en est-il ?
Au départ, c’est un rêve de gosse, celui de Manolo. Celui d’un « château avec des artistes et des chevaux. » Et ce lieu hybride, où l’on travaille et où l’on vit, fait pour des hétérotopies comme celles du Centaure, a finalement pris la forme d’un palais. « Ce lieu est une utopie, explique Manolo, d’abord parce qu’on n’est pas propriétaires de la terre, mais qu’on a quand même pu en être les architectes, les maîtres d’œuvre, alors qu’on ne l’est pas… » Aujourd’hui, étonnamment déployé sur un hectare au bout d’un lotissement de maisons standardisées mais aussi aux portes du Parc National des Calanques, dans ce bout du monde qu’ils avaient exploré pendant la Transhumance, leur projet-phare de MP2013, le lieu de vie et de travail des Centaures dispose d’un immense et majestueux chapiteau noir, assorti d’une grande piste pour les chevaux, d’écuries magnifiquement bâties dans un bois ciselé, d’un joglo aux allures de palais indonésien, et d’un jardin comestible et partagé, fleuron de biodiversité. Manolo parle de trait d’union entre ville et nature, tout comme il aime à définir leur art à la frontière, insistant sur l’enjeu capital de l’équilibre et de l’acuité à porter sur la relation de l’homme à son environnement.
Pour fabriquer ce « rêve-monde », ils se sont (bien) entourés, en faisant venir d’Indonésie une vingtaine de charpentiers pour scuplter le joyau qu’est le joglo, qu’ils ont construit en teck, ce bois exotique, noble et précieux, mais peu coûteux puisque recyclé et récupéré uniquement sur de vieux bâtiments, respectant déjà une règle quant à la préservation de la nature et de son écosystème. « Nous n’avons pas coupé un seul arbre pour bâtir tout cela, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’empreinte carbone de leur acheminement a été équivalente à un transport en camion depuis la Suisse », précise Manolo, devançant ainsi de potentiels détracteurs.
Ouvert pendant trois mois, le chantier a notamment nécessité le concours des jeunes du quartier. Mais aujourd’hui, le résultat n’est pas que dans le bâti : quand on ouvre la porte, on y voit des gens très différents, d’ici comme du centre-ville. Une recette vieille comme le monde : travailler à l’ouvrage commun pour se sentir en faire partie. De fait, dans cette ZUS (zone urbaine sensible) stigmatisée par la réputation sulfureuse des cités de la Cayolle et de la Soude, les Centaures se sentent « adoptés ». Et le pari était grand, « dans ce désert culturel que les élus avaient laissé s’installer depuis plus de trente ans. » Les actions de territoire continuent, et chaque jour, il se passe quelque chose pour qui souhaite venir.
« C’est un lieu de promenade et de quiétude, un lieu de travail pour nous les Centaures et un lieu de permaculture : la démarche holisitique de Cultures Permanentes a rendu possible la transformation de ce désert des Tartares, au terrain si âpre, en un paysage vivant, sans vocation productive mais pédagogique, où chacun peut venir s’investir, en formation ou en joignant ses efforts au groupe (voir l’interview de Romain Criquet ci-contre), dans cette même conscience du monde qui nous réunit. Enfin, c’est un lieu de formation aux pratiques douces qui se déroule dans le joglo, ce grand pavillon ouvert à 360° : yoga, taï-chi, chant… » Et de conclure sur le travail de territoire, patient, quotidien, développé avec les écoles et les travailleurs sociaux, « dans un désir de soin ». Manolo évoque alors les Cochers, aux attelages lourds, qui s’occupent de visiter les personnes en maison de retraite, aident aux encombrants, amènent des livres dans les écoles les plus proches, et emmènent les enfants pour une promenade et un tour de lecture. Il mentionne aussi le projet d’une « biblio-calèche de Centaurie », où les livres réalisés par les enfants sur leurs rêves ont un avenir, dans lequel la célèbre maison d’édition Actes Sud jouera sa partie… L’avenir semble déjà se dessiner, et un peu plus chaque jour : les tournées continuent pour la compagnie, les créations aussi, et la naissance du Parc de la Jarre, que la Ville inaugurera en octobre prochain, présage d’une augmentation du terrain de jeu…
Si un spectacle de la Biennale du Cirque qu’ils accueillent chaque année ou une formation de permaculture ne vous a pas déjà emmené dans ce petit havre de paix au pied des calanques, vous trouverez bientôt toutes les raisons d’aller se frotter doucement et de plus près à cette expérience rare, à la croisée des chemins.
Joanna Selvidès
Théâtre du Centaure : Hauts de Mazargues, 9e.
Rens. : www.theatreducentaure.com/