Focus sur trois festivals de musique classique
Un festival, des festivals
Chaque été, les terres provençales bruissent du concert dispersé de leurs festivals, de musique classique en l’occurrence. Tous nouent d’étroites interactions avec leur biotope en favorisant le développement de la vie artistique bien après la saison estivale. Du plus cosmopolite au plus intime, ils prennent place dans la beauté des lieux et leurs programmations s’accordent aux atmosphères et aux émotions qui s’y expriment. Chacun à son échelle est essentiel à la formation d’un écosystème musical dynamique. Trois exemples et préceptes variés.
Le Roi Piano
Tous les pianophiles devraient accomplir, une fois dans leur vie au moins, le pèlerinage à La Roque d’Anthéron, dans le chatoiement de verts et de lumière mordorée, parmi les fluidités obliques des couchants d’Alpilles sous les sous-bois du Château de Florans. La grâce, elle, viendra de face ; de cette focale de toutes les attentions, l’immense conque acoustique où l’interprète a commencé sa transe, sous le scintillement des projecteurs.
Du clavecin de Couperin au piano de Chopin en passant par celui à bretelles de Richard Galliano, le Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron brasse les siècles et les styles. Il revisite les chefs-d’œuvre reconnus et les partitions moins fréquentées de cette famille d’instruments qui a contribué plus que d’autres à l’évolution des formes et des sensibilités musicales. Cette année encore, la programmation réunit ces géants fidèles que sont Berezovsky, El Bacha, Sokolov, Freire ou Angelich le bien nommé, liste fort incomplète, parmi six cents artistes invités, jeunes talents, orchestres ou ensembles venus de tous les coins de la planète en suivant l’étoile du festival dans le ciel provençal. Près d’une centaine de concerts dans les villages du département mais également à Aix et à Marseille réserveront aux quatre-vingt mille auditeurs attendus de belles surprises aussi diverses que l’époustouflant Vadym Kholodenko accompagné par l’Orchestre national du Tatarsan (le 11 août), ou bien l’ensemble Les Harpies dans une Suite gaélique mêlée d’improvisations (le 6 août). Au-delà des additions pléthoriques, le Festival se distingue par sa constante qualitative ainsi qu’en témoigne le programme 2019 dès le concert d’ouverture, le 19 juillet, où Evgeny Kissin interprètera le concerto n°2 de Liszt avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par le chef letton Andris Poga. Puis les concerts s’enchaîneront accordés au même diapason superlatif : le 20, Adam Laloum sera accompagné par le Philharmonique de Marseille, Lawrence Foster à sa tête, dans un programme Mozart-Schumann ; le 21, David Kadouch nous invitera à une « nuit américaine », puis le 22 l’Abbaye de Silvacane recevra le maître-claveciniste Pierre Hantaï pour un récital Bach… Et ainsi jusqu’au 18 août où Alexandre Tharaud, pianiste au jeu pudique et d’une lumineuse intelligence, clôturera l’édition 2019 dans un parcours Couperin, Beethoven, Grieg où évolue l’histoire de cette liaison particulière entre le toucher et l’expression qui a permis à la virtuosité de tant d’interprètes de se déployer au service du rêve esthétique des compositeurs.
Depuis 1980, le Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron exerce, un peu plus chaque année, sa précellence sur la petite dizaine de manifestations comparables sur la planète et va comme Artémis parmi ses suivantes : un cran au-dessus.
Le Petit Poucet
À la façon d’un conte moral, on emprunterait volontiers à Perrault sa formule introductive pour narrer la jeune et attachante existence de l’association Musica Intima. Alors… Il était une fois à Marseille, il n’y a pas si longtemps (en 2016), deux professeurs du Lycée Montgrand, Pierre Laik et Gwenaëlle Caste, fervents mélomanes qui désiraient partager avec leurs élèves, leurs proches et des artistes impliqués dans l’aventure, les vertus de communion, simples et authentiques, que procure la musique de chambre à ceux qui la pratiquent ou l’écoutent. L’audience de leurs concerts a rapidement dépassé le cadre scolaire pour occuper des « lieux atypiques chinés avec passion » tout au long de l’année. En 2018 est née l’idée de Musique au centre, un micro festival juste avant la rentrée des classes ! Cette seconde édition propose, au Lycée Périer, quatre concerts de haute tenue. Le 24 août à 18h, nous écouterons le quintette à deux violoncelles dans l’adagio duquel Schubert, deux mois avant sa mort, a fixé un moment d’éternité, un opus ultimum pour les générations futures. Puis à 20h, le Trio Goldberg donnera le quatuor avec piano n°3 de Brahms avec en guest star la pianiste Shani Diluka, que l’on a plutôt l’habitude d’entendre à La Roque d’Anthéron (elle s’y produit le 30 juillet). La preuve que la foi soulève des montagnes.
L’épanouissement de la maturité
Le Festival International de Musique de Chambre porte les stimuli de la culture au cœur du territoire, à Salon-de-Provence. Sous l’égide des trois complices fondateurs (le flûtiste Emmanuel Pahud, le clarinettiste Paul Meyer et le pianiste Éric Le Sage) se réunit, depuis 1993, la sarabande joyeuse de leurs amis pour pratiquer une musique sans affectation qui communique aux réalisations même les plus ardues cet air d’aisance et de naturel qui est le meilleur de l’art. La musique y vibre en sympathie avec les hommes, les paysages et les architectures, dans une forme de plénitude colorée que les peintres régionaux avaient déjà, dès les premières décennies du siècle passé, rendue perceptible. On s’y sent bien, presque en famille pour les plus fidèles des cinq mille auditeurs attendus. Les ensembles, à géométrie variable selon les nécessités de la partition ou les affinités du jour, accèdent, à peine formés, à un degré de confiance sans lequel la sensibilité de chacun ne pourrait atteindre son plein développement. Solistes déjà couronnés par la reconnaissance internationale et jeunes musiciens talentueux s’offrent et nous offrent des rencontres uniques pour des soirées aux noms déjà savoureux : Le temps de la rêverie, Boréales ou L’âme, l’esprit, la truite… dans l’acoustique exceptionnelle du Château de l’Empéri. Les concerts de 12h à l’Abbaye de Sainte-Croix présentent un caractère plus intime. La proximité nous fait pénétrer plus avant le jeu intérieur des artistes, lire sur leur visage les reflets de l’insondable psychologie des œuvres et y voir s’épanouir, dans les résonnances spirituelles du lieu, des vérités musicales profondes que l’on ne trouve qu’en soi. Allez donc y faire l’expérience extatique des concertos italiens de Bach et découvrir la petite lumière dans les yeux du claveciniste Benjamin Alard. Tiens, il n’est pas à La Roque cette année…
Le culte globalisé du résultat et de la rentabilité n’a pas altéré le désir de perfection désintéressée des artistes de Salon, ni émoussé leur fantaisie à être sérieux, sérieux comme le plaisir disait un bon auteur dadaïste (1), le plaisir de manifester ensemble la force propulsive de la musique. Au contraire, chaque année aggrave heureusement leur cas.
La carte n’est pas le territoire. Celui-ci émerge d’une expérience personnelle qui s’approprie les paysages et leurs histoires. Comme les chansons de geste reconstituent l’espace médiéval à travers l’itinéraire d’une quête de sens, les festivals participent de leur pastorale à cette dimension sans quoi notre géographie mentale se réduirait à l’étroite fenêtre d’un GPS. Cet été, ne perdez pas la boussole, cap sur la musique en Provence.
Roland Yvanez
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Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron : du 19/07 au 18/08 en Provence.
Rens. : 04 42 50 51 15 / www.festival-piano.com/fr
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Musique au Centre : du 23 au 25/08 au Lycée Périer (270 rue Paradis, 8e).
Rens. : 06 15 91 15 84 / 06 64 84 45 09 / https://musiqueaucentre.fr/
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Salon, Festival international de musique de chambre : du 28/07 au 5/08 à Salon-de-Provence.
Rens. : 06 26 76 17 95 / https://festival-salon.fr/fr
Le programme complet du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron ici
Le programme complet du festival Musique au Centre ici
Le programme complet de Salon, Festival international de musique de chambre ici
- Jacques Rigaut, Littérature n°17, décembre 1920[↩]