Plombé par un chantier coûteux, Artplexe délaisse l’art et l’essai pour le cinéma commercial
Le futur cinéma phare de la Canebière modifie son positionnement alors que les travaux s’éternisent. Les films art et essai auront finalement une place mineure dans la programmation, axée grand public. La mairie, elle, continue de soutenir financièrement le projet.
Il est le cinéma censé amorcer le renouveau de la Canebière. Artplexe, dont les travaux font face au kiosque des Mobiles, s’écarte soudainement de son projet initial. Largement soutenu par la Ville qui est allée jusqu’à déplacer une mairie de secteur pour lui louer le terrain, il devait être « un cinéma art et essai de sept salles », comme le vantait en 2015 Jean-Jacques Léonard, son directeur. Dans le permis de construire qui lui a été accordé en 2017, l’argument du manque d’équipements marseillais « particulièrement dans le domaine de l’art et essai » était mis en avant. Le projet n’aurait ainsi pas d’« incidence importante sur la fréquentation » des salles classées art et essai à proximité, pouvait-on encore y lire.
Quatre ans plus tard, Artplexe n’est toujours pas lancé. L’ouverture prévue pour 2018 a été retardée pour des problèmes techniques sur le chantier, entraînant un important surcoût. Dans le même temps, son directeur a mis l’art et l’essai sur le banc de touche et prévoit d’augmenter significativement le nombre de places initialement prévues (passant de 851 à 996). En parallèle, la société a renégocié la part variable qu’elle devra verser à la mairie. Et la mairie, qui lui a concédé un bail emphytéotique à raison de 1250 euros de loyer par mois, a accepté le deal, dans une délibération soumise au vote ce lundi.
Initialement, le bail prévoyait une redevance forfaitaire de 15 000 euros par an ainsi qu’une redevance variable annuelle, à partir de la sixième année. Par cette délibération, la Ville et Artplexe s’engagent donc à renégocier cette part variable, en retirant de son résultat d’exploitation une subvention d’État proportionnelle au nombre de tickets vendus. Une renégociation qui in fine, sera forcément favorable à Artplexe.
« Requête classique »
« La complexité de la construction du cinéma, liée à la présence en sous-sol du parking Gambetta, a nécessité un report du démarrage des travaux et une augmentation significative du coût de construction », indique le rapport du conseil municipal. Le document précise que l’investissement est de ce fait passé de 8,5 millions d’euros à 13,5 millions.
Un imprévu que viendrait compenser le geste de la mairie dans une future renégociation de la part variable ? Tout à fait, répond Jean-Jacques Léonard : « Cette révision des conditions est une requête classique dans un contexte d’augmentation importante du coût d’un projet liée à des causes inhérentes à l’objet du projet, ce qui est notre cas. » Des causes inhérentes, qui ont donc aussi décalé la fin des travaux. Prévue cette fois-ci « au plus tard le 16 décembre 2021. » Mais le changement d’orientation du cinéma vers une offre plus commerciale devrait également permettre d’augmenter ses gains.
30 % d’art et essai, 70 % généraliste
Le rapport soumis au vote lors du conseil municipal du 16 septembre note, en effet, « l’augmentation du nombre de places portant à 996 la capacité d’accueil du public au sein du cinéma Artplexe ainsi que la nouvelle programmation de type généraliste/grand public à 70 % et recommandée art et essai à 30 %. » Soit, l’exacte inverse de ce qui était initialement annoncé, 30 % de généraliste et 70 % d’art et essai.
« Cela pose un problème éthique, la Ville a aidé à l’implantation d’un projet culturel axé sur l’art et essai. Il s’agit d’une aide financière et morale. Finalement, Artplexe augmente le nombre de places et modifie sa ligne éditoriale, s’indigne pour sa part Éric Scotto, conseiller d’arrondissement d’opposition (PS) des 1er et 7e arrondissements. Quand il y a un bail avec une clause qui dit qu’on va vendre des chichis frégis et qu’on vend finalement des cacahuètes, on revoit le bail. »
« Tour de passe-passe »
Même son de cloche du côté du président du groupe PS à Marseille. « On nous a fait subventionner — car un loyer à 1250 euros par mois, j’appelle ça une subvention —, on nous a fait acheter une mairie à 7 millions sur la Canebière, pour voir projeter Brice de Nice 4 », proteste ainsi Benoît Payan lors de sa conférence de presse préparatoire au conseil municipal. L’élu évoque ainsi un « tour de passe-passe ».
Jean-Jacques Léonard, le patron d’Artplexe, justifie autrement cette réorientation de programmation : « La reprise en main par Jean Mizrahi des cinémas le César et les Variétés, avec une rénovation de ce dernier et l’augmentation du nombre de ses salles (de 5 à 7 salles), permet déjà d’élargir l’offre art et essai à Marseille. Cette offre élargie se trouvant à proximité du futur complexe culturel Artplexe Canebière, nous souhaitons privilégier la complémentarité de l’offre, en nous adaptant. Un positionnement mixte, privilégiant la diffusion de films grand public, est donc retenu aujourd’hui pour notre projet. »
L’argument est partagé par celui qui a repris les cinémas Variétés et le César en 2017. « C’est logique et réaliste. Il n’y a pas la place pour plusieurs cinémas à la programmation identiques aussi proches », estime Jean Mizrahi. Une vision sur laquelle la commission départementale d’aménagement commerciale (CDAC) a un avis moins tranché. « Les effets du projet sur les cinémas situés à proximité sont difficiles à évaluer en raison de l’évolution récente du contexte cinématographique marseillais », rend-elle compte en juillet dernier lors de l’examen de la demande d’autorisation d’Artplexe au sujet de cette nouvelle formule. Elle a cependant décidé de valider le projet, qui « devrait favoriser l’équilibre de l’offre entre le centre-ville et la périphérie » et dont « l’offre devrait être complémentaire de celle proposée par les cinémas en activité ou en projet. » Fermé en 2007, L’UGC Capitole était le dernier cinéma commercial du centre-ville, à quelques mètres à peine du futur Artplexe.
Violette Artaud