Jazz sur la Ville

Carte du tendre en bleu

 

Plus qu’un festival, l’évènement automnal Jazz sur la Ville prend les atours d’un territoire sublimé par la mobilisation de partenaires amoureux des notes bleues. Aimer le jazz quand la nature s’endort, c’est descendre doucement les flots du fleuve Inclination avec les musiciens conviés, et c’est aussi naviguer en pleine tempête sur la mer de la passion à l’occasion de concerts d’exception.

 

La carte s’étend au Nord. En Avignon notamment, où l’AJMI semble reprendre du poil de la bête (et c’est tant mieux), en particulier avec une émouvante proposition en hommage à l’apport des Amérindiens aux musiques de jazz : No Limits. À Salon-de-Provence, les concerts organisés à l’Institut Musical de Formation Professionnelle, foyer d’émergence de nombre de musiciens locaux et internationaux, promettent de grands moments de jazz, avec en particulier la prestation du trio de Pierre de Bethmann : ce pianiste, nanti de quelque succès, sait partager des instants magiques avec le fabuleux batteur Tony Rabeson et le somptueux contrebassiste d’origine marseillaise Sylvain Romano. Au même endroit, gageons que la prestation du Tristan Mélia Trio saura ravir les auditeurs : ce jeune pianiste, élève du grand Mario Stantchev, convainc d’autant plus que son sens ludique est enrichi par un interplay d’enfer, grâce à la présence à ses côtés de l’immense Thomas Bramerie (contrebasse) et de l’élégant Cédrick Bec (batterie). Que les urbains se rendent donc au fabuleux Osons Jazz Club : un lieu de jazz en milieu rural comme on n’en fait plus, dirigé d’une main de maître par Philippe Balin, qui intègre le dispositif avec le « Vintage New Acoustic » du maître bassiste (ici passé à la contrebasse) Reggie Washington, mais aussi avec Adrien Chicot Trio (le pianiste, entouré par le susnommé Sylvain Romano et le fantastique batteur Jean-Pierre Arnaud, propose un répertoire en trio classique, mais avec des compositions très contemporaines). La qualité de l’acoustique de cet ancien moulin en Haute-Provence s’avère inégalable, au point qu’il est un lieu de résidence artistique de choix pour les musiciens (Il a notamment permis à un Tristan Mélia susmentionné d’y développer ses compositions).

Voguons vers l’Ouest. Proposition originale à Berre-l’Étang : une lecture dessinée et musicalisée autour du roman autobiographique et initiatique Black Boy de Richard Wright. L’occasion de rappeler ce que le jazz doit à la souffrance et aux capacités de résilience des populations afro-américaines. À Port-de-Bouc, on retrouvera Rémi Charmasson pour son hommage à Jimi Hendrix, histoire de rappeler que les musiciens de jazz se nourrissent aussi du meilleur du rock : concert, conférence et master class encadrés par le guitariste et ses compères de toujours (Laure Donnat au chant, Bernard Santacruz à la basse/contrebasse) diffuseront la geste du mythique guitariste.

À l’Est, le territoire se reforme à Hyères, où l’on retrouvera notamment les Quatre Vents au Théâtre Denis, le all-star régional qui vient de commettre un album d’excellente facture chez Laborie Jazz, alignant dans une rare configuration de vrai groupe non moins que Christophe Leloil (trompette), Perrine Mansuy (piano), Pierre Fénichel (contrebasse) et Fred Pasqua (batterie). L’équipe de Jazz au Fort Napoléon se mobilise également pour quelques dates dans ce lieu patrimonial qui a vu défiler les plus grands noms des notes bleues et en reste un épicentre.

La cité phocéenne est évidemment la capitale de ce pays du tendre jazz. L’Hôtel C2 aligne des formations orientées vers la « tradition », avec en particulier un hommage au grand Gus Viseur par le quartet de l’accordéoniste Christophe Lampideccia — avec rien de moins pour l’accompagner que Louis Winsberg (guitare), Minino Garay (batterie, percussions) et Diego Imbert (contrebasse). Les Quatre Vents précités enflammeront quant à eux la Cité de la Musique, qui reste un foyer d’éducation populaire d’excellence. En l’espèce, l’Alcazar ne sera pas en reste avec un hommage rendu à Michel Pettruciani : l’emblématique pianiste, toujours populaire vingt ans après son décès, fera l’objet de la projection d’un documentaire, d’une exposition de clichés de Christian Ducasse, inlassable témoin iconographique des notes bleues, ainsi que d’un concert hommage par le trio d’Alexis Tchokalian, dont le toucher sensible devrait ravir le public.

Au Cri du Port, dirigé par la très pertinente Armelle Bour, on se précipitera à l’hommage décalé rendu à Django Reinhardt par le fantasque violoniste Théo Ceccaldi. On se régale d’avance du concert du maestro contrebassiste Riccardo del Fra avec pour invité Kurt Rosenwinkell, l’un des meilleurs guitaristes de la planète jazz. C’est également avec plaisir que l’on se délectera du chant suave et blues de Kevin Norwood, en pleine préparation de son second album.

Vivement la performance du jeune et brillant sax alto Maxime Atger au Musée Cantini dans le cadre du dispositif « Muséiques », qui consiste à faire s’exprimer des musiciens avec les œuvres : parions sur le fait que le surréalisme de Man Ray va susciter, chez lui et son auditoire, quelque rêve éveillé dans les tons bleutés… bien entendu !

La Mesón concentre des propositions d’exception. L’équipe convie, avec l’entregent du Dj militant des musiques afro-américaines M. Oat (alias Stéphane Galland), Raw Trio du sax alto Rodolphe Lauretta, dont la combinatoire libertaire de be-bop, hip-hop et rock devrait plaire aux jeunes (comme aux moins jeunes) oreilles. Elle propose l’émouvant duo Julien et Henri Florens. Gageons que le papa, nanti d’un pédigrée jazzistique à faire pâlir plus d’un prétendant au titre d’icône du piano jazz dans la cité phocéenne et même au-delà (Dizzy, Chet…), aura à cœur de faire ressortir le meilleur du fiston au sax ténor… et inversement. Point d’orgue avec le duo Marion Rampal/Pierre-François Blanchard, dont on attend une restitution live de leur sublime album Le Secret : ce délicat assemblage de musique romantique, de poésie symboliste et de blues est une pure régalade. Également présent dans les murs de la petite salle de la rue Consolat, Tropical Trio, réunissant le légendaire pianiste antillais Alain Jean-Marie (maître ès bop et biguine), le trop rare contrebassiste Patrice Caratini et le percussionniste Roger Raspail, boss du gwoka (ces tambours guadeloupéens porteurs des vents libérateurs de la créolisation). Quant au Non-Lieu, l’équipe donne carte blanche à la jeunesse : le duo formé par Camille Mandineau (chant) et Fred Drai (l’un des pianistes les plus convaincants de la cité) annonce un programme placé sous le signe de l’impair, non sans dévoiler une exposition photographique de portraits de musiciens passés par là d’Andreas Welskop, photographe allemand de renommée internationale. Dans le registre photographique, cet « art moyen » qui s’est emparé du jazz (à moins que ce ne soit le contraire), signalons également le travail du guitariste marseillais Claude Vesco à l’Hôtel C2 sur les légendes du jazz de passage en ville, ou encore celui de Marc Robert, dont le point de vue affûté sera sur les cimaises de l’Espace Hypérion.

Soirée américaine d’exception à Vitrolles : le duo méditatif et néanmoins gorgé de soul intimiste du saxophoniste Mark Turner et du pianiste Ethan Iverson (par ailleurs fondateur du groupe populaire The Bad Plus) devrait faire perdurer l’été indien dans l’une des dernières soirées au Moulin à Jazz (un mal pour un bien puisque de nouveaux locaux vont voir le jour sur le domaine de Fontblanche). Peu ou prou sous la même latitude, l’auditorium de Cabriès accueille la contre-diva Sarah McCoy, dont la verve bluesy ne cesse d’enflammer les publics (à retrouver en interview dans ces colonnes à la fin du mois).

Quant à Aix, c’est au Petit Duc que se concentrent les propositions. Ainsi, Cathy Heiting, en maîtresse de cérémonie consacrée à l’assemblage du jazz et du vin, méritera plus que le détour — on pourra aussi retrouver cette vocaliste hors-pair (trois octaves !) farouchement humaine en quartet à Allauch pour le nouveau répertoire de son Forest Quartet, dont un album est annoncé. Le concert du trio Michel in My Heart du pianiste-claviériste Laurent Coulondre devrait être un instant d’éternité : avec son bassiste Jérémy Bruyère et le batteur légendaire André Ceccarelli, il vient jouer dans la petite salle aixoise son répertoire en hommage à Petrucciani. Loin de sentir le réchauffé, cette proposition est un voyage sublime dans l’univers d’un pianiste de légende.

Enfin, gageons que les actions éducatives engagées par différents partenaires de l’évènement sauront convaincre les jeunes générations de se saisir des musiques de jazz. Entre le trio College Experiment au Lycée du Golfe à Saint-Tropez, les projets engageant notamment Théo Ceccaldi en direction des élèves des quartiers populaires de Marseille portés par Le Cri du Port, ou encore les sessions AJMI-Mômes en Avignon (encadrées par le fantasque Guillaume Séguron), dans un contexte de réduction drastique des deniers publics consacrés à l’éducation artistique et culturelle, ces initiatives sont plus que bienvenues. Car, non, le jazz n’est pas une musique de vieux ! Puissent aussi les jeunes générations ressentir les effluves d’estime, de respect et de raffinement que portent les propositions de Jazz sur la Ville.

 

Laurent Dussutour

 

Jazz sur la Ville : du 5/11 au 7/12 en Région Sud PACA.

Rens. : http://jazzsurlaville.fr

Le programme complet du festival Jazz sur la Ville ici