Un Tanger nommé désir
Aflam continue d’explorer la richesse des cinémas arabes en se focalisant sur la ville de Tanger, via la programmation de plus d’une quinzaine de films internationaux consacrés à la ville marocaine.
Tanger rêvée, fantasmée, idéalisée, délaissée… Rares sont les villes du Maghreb ayant déclenché un tel imaginaire, largement au-delà de leurs frontières, devenant l’une des destinations privilégiées d’Occidentaux en mal d’exotisme, d’artistes fuyant la monotonie de leur cadre de vie, cherchant à Tanger l’excitation d’une existence interlope où se mêleraient sexe, drogue et médina. D’où une surexposition de la ville parfois décalée : il ne reste, dans les œuvres inspirées par cette Porte de l’Orient, que peu de témoignages sur le Tanger des Marocains. Aujourd’hui, on lui préfère d’autres destinations, le fantasme a changé d’axe, Tanger est pour beaucoup d’Africains une ville-charnière pour accéder à l’Europe. L’excellente structure Aflam, défricheuse de nombreuses cinématographies arabes depuis dix ans déjà, nous propose un tour d’horizon en images de cette ville ambiguë, et nous invite à interroger les rapports tissés au cours du dernier siècle avec l’Occident. D’où une programmation particulièrement hétéroclite, privilégiant le regard de nombreux pays européens (France, Suisse, Allemagne..) sur la ville marocaine, à toutes époques. On constate alors que l’intérêt pour la population tangéroise dans le cinéma est plutôt récent (Loin d’André Téchiné), les films plus anciens offrant une regard franchement exotique. C’est le cas du Gibraltar de Fedor Ozep, ou de L’homme de la Jamaïque de Maurice de Canonge, frisant parfois le nanar. Aflam propose en revanche de découvrir l’œuvre d’un cinéaste suisse remarquable, Daniel Schmid — on se souvient de son sublime Visage écrit —, qui tourna en 1982 le subtil Hécate, chassé-croisé amoureux dans les rues de Tanger, tiré de l’œuvre de Paul Morand. Deux curiosités allemandes viennent se joindre à la programmation : Tangerine d’Irene Von Alberti, premier long-métrage sous forme de trio amoureux, et Fair trade de Michael Dreher, qui soulève le délicat sujet de l’adoption. Emmanuel Ponsart, directeur du Centre International de Poésie de Marseille, viendra quant à lui présenter la projection du chef d’œuvre hallucinatoire de David Cronenberg, d’après Burroughs, Le festin nu. Les cinéastes marocains restent tout de même à l’honneur, avec entre autres Jillali Ferhati, invité lors de cette manifestation pour présenter Tresses, plongée dans la vie quotidienne d’une famille modeste de Tanger. Hicham Ayouch viendra quant à lui accompagner, lors de la soirée d’ouverture, son dernier film Fissures, sur les errements de trois marginaux en quête d’amour. Parallèlement aux projections, Aflam nous invite lors de tables rondes à nous interroger sur Tanger, son histoire, ses liens avec le cinéma, cette auréole de fantasme qui éclaira et assombrit son Histoire tout à la fois.
EV
Tanger rêvée : du 27/05 au 4/06 au Variétés (37 rue Vincent Scotto, 1er). Tables rondes : « Tanger et les artistes » le 27/05 à l’Alcazar et « Tanger et le cinéma » le 2/06 aux ABD Gaston Defferre. Rens. 04 91 47 73 94 / www.aflam.fr.